Dieu sait que la mission qui m’incombe me pèse de
plus en plus, en exposer les raisons serait une perte de temps, d’énergie et ne
ferait pas avancer le schmilblick.
Cependant, l’aspect
le plus plaisant du métier d’enseignant réside dans les relations que l’on peut
nouer avec les marmots dont on a la charge durant une année voire plus. Plus qu’une
simple relation enseignant/élève, les rapports que l’on tisse avec les enfants
prennent différentes formes en fonction de la personnalité de l’adulte qui leur
fait face. J’ai la prétention de croire que ma plus grande qualité (compétence ?)
est d’instaurer au sein d’une classe un climat de sérénité et de confiance qui
permet aux gamin(e)s de s’épanouir.
Même passant
pour un vieux con aux yeux de ces têtes blondes - toute personne dont l’âge
dépasse la vingtaine d’années relevant à leurs yeux de la vaste catégorie des « vieux »
- ma culture « pop » n’est pas si éloignée de la leur et je les
surprends souvent par ma connaissance de leurs centres d’intérêt. Le fait d’être
père d’enfants de leur âge n’y est pas étranger bien évidemment.
Hier, alors
que ma collègue et moi-même surveillions la cinquantaine d’élèves aléatoirement
réparties sur la surface de notre modeste cour de récréation, nous assistâmes à
une collision entre élèves. Sans gravité, les deux élèves se relevant
rapidement, et sans effusion lacrymale ni hurlement hystérique, je constatai que
l’un d’eux se frottait la cuisse. Je m’enquis de son état et, constatant que la
douleur qui le gênait n’était due qu’à un léger hématome, une « béquille »
en somme, je l’enjoignis à repartir vers d’autres aventures. Il acquiesça et,
alors qu’il s’éloignait, sa démarche m’interpela : trainant le pied droit,
l’épaule basse et décrivant un mouvement de va-et-vient saccadé , la tête
bringuebalant mollement du côté gauche… Bon sang, mais c’est… c’est… un ZOMBIE !
Quelques dixièmes de secondes plus tard, impatient de tester la perspicacité de
deux de mes élèves les plus enclins à apprécier mon humour absurde, et
peut-être de partager avec eux un peu de
malice, je les appelai et leur demandai d’observer attentivement la démarche
particulière de leur camarade. « Oh, un Zombie !!! s’exclamèrent-ils
à l’unisson. J’avais donc vu juste, la ressemblance était évidente pour des
gamins de 10 ans et un de 40. Nous échangeâmes quelques idées sur les moyens d’éviter
la contamination ainsi que sur les techniques d’éradication des morts-vivants.
Cinq minutes
plus tard, il y avait une quinzaine de zombies, boitant, râlant et arpentant de
manière erratique la cour de récréation transformée en Zombieland. Vous n’imaginez
pas le plaisir que j’ai éprouvé à la vue de ces marmots en mode « délire
absurde ».
Quand je
sifflai la fin de la pause et que tous les élèves se rangeaient sagement le
long du mur extérieure de ma classe, j’eus la surprise de voir quelques zombies
se cogner dans les murs, se heurter aux portes, langue pendante, regard
inexpressif et sons gutturaux. Dans un grand éclat de rire, je lâchai un « Mais
qu’ils sont bêtes !!! » Quel moment de joie et de plénitude ! D’une
plaisanterie qui avait pour but de ME faire rire, cette poignée de gamins a
réussi à me surprendre et les voir déconner ainsi est, et restera, sans aucun
doute, un de mes plus beaux souvenirs d’instit’.