"École pour tous. Pour tous, vraiment?"

Bonjour à toutes et à tous,

L'heure est grave, mes ami(e)s. Pas de poilade aujourd'hui, ni de franche rigolade, je réponds ici à la question de La Voisine qui, en proie à une incommensurable fureur, m'a interpellé au détour d'un commentaire: "Mais putain de bordel de merde, l'école pour tous, qu'est-ce que ça veut bien dire? Si c'est l'école gratos pour tout le monde au mépris des individualités et particularités des enfants, je m'en vais raquer et inscrire ma fille chez Montessori!"Bon, elle l'a dit un peu plus poliment mais je crois bien traduire sa colère et sa frustration.
Je m'en vais donc tenter de répondre à ses interrogations en décortiquant notre système éducatif. Néanmoins, pour celles et ceux qui s'en battent le patrimoine et qui n'auraient pas le courage de lire ce billet jusqu'au bout, je répondrais ceci "Normand Style": "On fait c'qu'on peut!"

Revenons à nos moutons.
Notre système éducatif a les défauts de ses qualités, certains me diront qu'il y a plus de défauts que de qualités. Peut-être mais ce ne fut pas toujours le cas, l'objectif premier de la fin XIXème et de la grande moitié du XXème fut d'éduquer en masse, justement, les masses laborieuses, celles dont l'accès à l'école était  rendu difficile voire impossible par la pauvreté, la religion ou l'absence d'établissement voulant accueillir la "lie" de la société. On a donc formé quelques milliers de fonctionnaires à enseigner des règles communes à toutes et à tous et l'on ne tolérait pas les écarts quant à ce dogme: le français comme langue unique, cours de morale républicaine, objectifs communs. Bon, comme ça, ça n'a pas l'air folichon mais si vous lisez ceci, c'est que ça n'a pas trop mal fonctionné jusque là, je dirais jusqu'aux années 80...
Satanées années 80! On arrive à un basculement du paradigme républicain où l'on commence à parler du développement de l'enfant (on en parle depuis longtemps chez les psys et les pédiatres mais il faut un certain laps de temps pour que cela essaime au sein de la société) plutôt que du savoir encyclopédique qu'il était de bon ton de posséder pour réussir dans la vie. L'enfant en tant qu'individu était mis an centre des préoccupations de l'Éducation Nationale. Vœu pieux car les moyens, l'organisation, les mentalités (barrer les mentions inutiles) n'étaient pas au rendez-vous. On voulait s'occuper des enfants dans leur particularisme, leurs difficultés, leurs attentes (les fameux projets, contrats, élève au centre des apprentissages) mais on n'a pas su ou voulu toucher à l'organisation même de l'École. Comment peut-on attendre d'un enseignant qu'il s'occupe spécifiquement des difficultés d'un élève alors que les classes frisent les 30 marmots? Si tu veux bien faire ton boulot, il faut choisir entre qualité et quantité. L'Éducation Nationale a depuis longtemps choisi la quantité: plus d'élèves, plus de matières, plus d'attentes... Et ce, pour des raisons budgétaires, politiques ou idéologiques, au choix suivant les différents gouvernements.
Actuellement, je côtoie énormément de bons enseignants, beaucoup plus que des mauvais, qui s'investissent corps et âmes dans leur mission républicaine néanmoins il faut se rendre à l'évidence que l'on est proche du burn-out et il est compréhensible que certains parents d'élèves n'y trouvent pas leur compte individuellement. Leur enfant n'est pas assez considéré? Peut-être. Depuis une bonne vingtaine d'années, l'accent a été surtout mis sur le handicap et l'échec scolaire, et il faut le reconnaître, à trop vouloir raccrocher les "retardataires", on finit par niveler par le bas dans la majorité des cas. L'École n'est finalement que le reflet de la société.
Pour revenir aux fameuses et fumeuses réformes promises, je suis comme Sœur Anne, je ne vois toujours rien venir... On nous promet monts et merveilles après nous avoir cloué au pilori avec les clous des statistiques internationales. Le résultat observé est qu'il y a crispation d'une majorité dès que les changements promis sont importants (voir la "demi-réforme" des rythmes scolaires en mauvaise posture...) ou bien que les changements proposés ne le sont que pour des considérations électorales, au mieux sociétales (abandon du samedi matin pour satisfaire les familles recomposées... mouais...).

Je comprends l'attirance pour Montessori, j'ai moi-même fouillé dans cette direction mais il est impossible de mettre cela en place sans l'accord de tous les enseignants d'une école, première difficulté. Ensuite, cela implique des contraintes structurelles: nombre d'enfants pas classe (inférieur à 20), organisation de niveaux qui permet le suivi des enfants sur un cycle (trois ans environ). Chez Freinet, c'est un peu le même système.
Et l'argument choc: à 500-600€ par mois, tu n'accueilles pas des "handicapés sociaux", tu as d'emblée des enfants qui, culturellement, sont plus stimulés, qui ont plus de chances d'être structurés socialement. Le succès de l'école privée (confessionnelle ou non) repose en grande partie sur ça. Pas uniquement mais surtout, il ne faut pas se voiler la face. Le succès de ces écoles est aussi dû à son "management": le dirlo est le patron et les parents les consommateurs. Et comme le consommateur a toujours raison... On fait ce que le client demande, attend, exige. Cela a ses bons côtés mais est un point d'achoppement avec ma mission d'enseignement placée sous la coupe de l'indépendance. Je ne supporterais pas d'avoir un chef. J'ai des collègues et ça change tout. Mais là, je m'égare.
Pour pouvoir prendre en compte TOUS les enfants ou tendre vers cela, il est nécessaire d'avoir un discours clair et puissant de la part de nos gouvernants. Pour se développer, un enfant doit se sentir libre et cette liberté n'est possible que dans un cadre protecteur car très rigide! Or les orientations proposées par les ministères consécutifs sont timides, frileuses voir illégitimes.

Je ne cherche pas à me dédouaner, je connais les carences de notre système mais je connais aussi les réussites. Personnellement, je fais ce que je peux avec mes moyens qu'ils soient physiques, psychologiques ou budgétaires. J'espère des lendemains plus joyeux, en attendant, mon souci premier reste et restera que les gamins soient heureux en classe. Je ne suis certainement pas un grand pédagogue mais j'ai le souci de mes élèves, leur bien-être; les savoirs, au risque de choquer, ne sont pas primordiaux. Un enfant heureux qui a confiance, qui apprécie l'adulte face à lui sera dans les meilleures conditions pour ingurgiter ces savoirs.

Je ne sais pas si j'ai apporté de l'eau à votre moulin, néanmoins j'ai pris beaucoup de plaisir à parler des multiples contradictions qui animent le grand monde de l'éducation.
Que la Force soit avec vous!