Cruelle innocence

Quand l'innocence se fait cruauté.

Amère expérience. En quelques mots, un regard, une intonation, une gamine, du haut de ses huit ans, m'a plongé dans un profond désarroi. C'est la gorge serrée et les larmes au bord des yeux que j'ai rejoint ma classe ce matin-là. 

Pourtant, la journée s'annonçait sous les meilleures auspices. Température clémente dès l'aube, ciel dégagé, le printemps daignait enfin pointer le bout de son nez après un long épisode neigeux et venteux où chacun avait eu l'occasion de se les peler grave. Un vendredi, double tremplin vers le week-end et les vacances de février, une bonne raison pour se rendre au boulot avec la banane, n'est-ce pas?

Néanmoins, ce qui me mettait en joie ce matin-là ne résidait pas dans de quelconques considérations climatiques ou temporelles, j'allais enfin pouvoir me rendre au boulot en MOTO! Trépignant d'impatience, j'enfourchai mon tout nouveau jouet. Crise de la quarantaine oblige -avec quelques années d'avance certes- j'avais entrepris dès septembre de passer mon permis moto. Celui-ci en poche je tardais de me prendre pour Gérard Klein arrivant tel un messie sur son destrier mécanique grondant et pétaradant.

Le jour J était arrivé. VRAOUMMMMM

Je m'attendais à quelques remarques de collègues, parents d'élèves et de leur progéniture et moi, chevalier des temps modernes, Lorenzo Lamas de l’Éducation nationale leur adressant nonchalamment un regard d'acier à faire frémir n'importe quel légionnaire. 

J'arrivai quelques minutes avant l'ouverture de la grille et, fier de ma nouvelle acquisition, casque au bras, poussant ma moto dans la cour de récréation, je passai devant trois ou quatre élèves tenaillés par la curiosité. Les questions pleuvaient, les yeux scrutaient mon Tonnerre mécanique. J'étais fier comme un gamin.

Quelques minutes plus tard, elle s'approcha, leva les yeux vers moi et, un sourire jusqu'aux oreilles, m'asséna:

"Il est beau vot'scooter!"

Je n'ai rien dit. Dur.


BONUS: Je ne résiste pas à l'envie de publier l'illustration concocté par un ami enseignant dont l'humour et les talents de créateur ne sont plus à prouver. Il avait déjà sévi sur un précédent billet, si vous ne l'avez pas lu, profitez-en ici. Et cliquez sur l'image!