dimanche 15 décembre 2013

Le rugby et mon esprit

Le rugby, je ne suis pas tombé dedans quand j’étais petit, aucune prédisposition, aucune incitation familiale. Tout juste quelques matches regardés d’un œil curieux lors des retransmissions du Tournoi des V Nations.
C’est cette putain d’adolescence qui m’a poussé à franchir le pas. Enfin, plutôt la fin de l’adolescence, l’heure des premiers bilans, quand on n’est malheureusement plus un gamin, mais pas encore un homme, encore moins un adulte. Les premières amours, non réciproques, qui riment avec les premières claques (non, pas les premières finalement, les plus douloureuses sûrement), ne manquent pas de me renvoyer à la figure l’image d’un grand échalas, empoté, gras et peu sûr de lui (doux euphémisme). Par réaction, j’ai préféré passer mon adolescence avec ma solitude, une canne à pêche à la main et des rêves plein la tête. Autant dire que ma culture physique et sportive se résumait à quelques séances d’EPS « subies », au collège et au lycée. J’étais un élève médiocre en sport, « l’intello » sympa de la classe, avec un goût vestimentaire incertain (c’est toujours le cas) et des relations sociales qui se limitaient à de la bonne camaraderie, gent féminine comprise. Or, la camaraderie se marie très mal avec le bouillonnement hormonal qui sévissait à l’aube de mes 20 ans. Non pas que j’étais une bête incontrôlable dont la libido submergeait les digues de la raison, je ressentais un besoin viscéral de trouver une personne apaisante, une personne refuge. Mais là, n’est pas le sujet.
Dans quelle activité sportive aurais-je pu m’investir alors que je n’avais jamais pratiqué un quelconque sport au sein d’un club ou même d’un groupe de copains ? Très difficile de débouler dans un club de foot, volley, basket alors que la majorité voire la totalité des joueurs le pratique depuis l’âge de 12 ans voire moins ? Ou ont un passé sportif qui leur permet d’accrocher « le wagon » sans passer par la case « départ », celle où l’on se forge coordination motrice, équilibre, adresse, vélocité et endurance ? Très vite, l’idée du rugby s’est imposée : une activité de plein air, par équipe, un jeu de balles. Je pensais que ma taille pourrait être un atout dans ma quête d’intégration d’une équipe, quelle qu’elle soit.
Je suis d’abord passé par le sport universitaire, des entraînements le lundi après-midi vers 14h, si je ne m’abuse. On était quatre ou cinq maximum, trois parfois, Édouard en GO-entraineur. Comment arrivait-on à s’entraîner à trois ? Je me le demande encore, on courait, tombait, éclatait de rires, pestait de douleur mais on s’amusait et j’avais, enfin, l’impression de me faire du bien, physiquement et mentalement. Édouard, notre Gentil Entraineur, était une personne souriante, expansive, généreuse, le physique à l’avenant. Son statut d’ainé lui conférait un soupçon d’autorité qui suffisait à faire des ces entrainements des moments privilégiés où chacun, novice ou confirmé, pouvait prendre du bon temps. Avec du recul, je conçois que les joueurs licenciés en club devaient se faire chier royalement. Les jeudis après-midi voyaient les équipes universitaires se rencontrer sur les terrains de la banlieue lilloise. Autant dire que l’équipe dont je faisais partie ne brillait pas spécialement ; Université de Lille III, Arts et Lettres ne rimait pas vraiment avec culture sportive… Cependant, il suffisait que quelques joueurs clés rejoignent l’équipe pour que ce joyeux bordel organisé prenne une toute autre allure. Pas nécessairement des joueurs de rugby, simplement des gars qui savaient courir une balle en main, ou des types qui n’avaient pas peur de rentrer dans le lard, démontrant ainsi leur amour pour la géométrie euclidienne, à savoir que « La plus courte distance entre deux points est la ligne droite ». Tout le monde était le bienvenu, chacun pouvait y trouver sa place. J’y trouvais ma place. Si je devais expliquer ce qu’est le rugby à mes yeux, je sortirais quelques souvenirs de cette période. C’était une auberge espagnole, chacun y venait avec ses qualités, ses défauts et il suffisait d’un rien pour que la mayonnaise prenne : bienveillance des « cadres », spontanéité des novices, amateurisme de l’organisation, aucun carcan ou pression sinon celle de la camaraderie. Sans oublier les quelques pressions que nous n’omettions jamais de baller lors des troisièmes mi-temps qui, loin d’être des beuveries, clôturaient joyeusement nos exploits sur le gazon
Durant ces quelques années, j’ai lié de nombreuses amitiés: François, Tof, Karim, Gros (Grand) Seb, Lou etc. Autant de potes que j’avais plaisir à croiser, autant de personnes qui me renvoyaient une image globalement positive de ma personne, je faisais partie d’un groupe, d’une équipe, improbable certes, fragile sans aucun doute mais qui rayonnait d’ondes positives. Malheureusement et fatalement, j’en ai perdus de vue en route, chemin faisant vers la vie professionnelle. L’un d’entre eux est devenu un Ami. Un ami du genre que l’on compte « sur les doigts de la main du baron Empain, voire de Django Reinhardt, pour les plus misanthropes. » dixit P. Desproges.
Puis ce fut l’expérience en club… Assez rude pour ne rien vous cacher. Durant une année, j’ai fourbi mes armes en équipe 3 de l’Iris Club de Lille. À peine 19 ans et je côtoyais pour la première fois de « vrais » sportifs dans un « vrai » clubs avec de « vrais » objectifs. L’accueil fut relativement froid. Bien différent de l’idée que je me faisais du sport en club. Je devais faire mes preuves.
Mon premier match fut une Bérézina, contre l’équipe 3 d’Arras, club phare de la région au passé glorieux. On a mangé sévère ! 80 ou 90 points à rien. Et c’est là que j’ai découvert que l’on pouvait être violent gratuitement envers un total inconnu… Sauf que l’inconnu, c’était moi. Mal placé, naïf et doux comme l’agneau, je sortis au bout de trente minutes après m’être pris un bon caramel au niveau du plexus. Sans ballon, par surprise, ma fierté en prit un coup. Il fallait se rendre à l’évidence : les lauriers étaient encore bien loin. Néanmoins, je n’ai pas baissé les bras et, durant cette saison, j’ai tenté de montrer le meilleur de moi-même, sympathisant au passage avec d’autres p’tits gars comme moi qui tentaient tant bien que mal de se faire une place dans le groupe compétitif. Timothée et Gérard étaient de ceux-là.
La deuxième année au sein de ce club de Lille me vit accéder à l’équipe B. Non pas que j’avais progressé- je n’en avais pas l’impression - mais l’équipe première, championne des Flandres, avait accédé au niveau national et avait étoffé le groupe promis aux joutes sur les terrains de Picardie, Normandie et région parisienne. Petit à petit, j’ai fait mon trou et fut reconnu par quelques cadres. Oh, ce n’était pas encore la gloire ni l’intégration satisfaisante mais on commençait à connaître mon prénom et mes qualités - alors que cela faisait 8 mois que je connaissais les prénoms de tous les types du club-. Je me suis endurci, faut dire que la barre était très basse. Quelques bons matches en B et je fis deux piges sur le banc des remplaçants en équipe première. Une fois à Massy, grosse branlée en perspective, et la deuxième fois à Saint-Pol sur mer, grosse branlée aussi. Dans les rangs de cette équipe de Saint Pol jouait un certain Vern Cotter, entraîneur-joueur qui avait « bâti » autour de lui une équipe performante, celle-ci jouait le haut du tableau de la Nationale 3. Malheureusement, et comme j’aurais pu le deviner, la saison s’est terminée en eau de boudin. Les résultats de l’équipe première était catastrophique, ceux de la B, à l’avenant et, dans ces conditions, l’ambiance n’était pas des plus sereines. J’eus également la désagréable impression qu’il était beaucoup plus facile de s’intégrer en étant une grande gueule arrogante qu’un jeunot discret. Mes études m’envoyant sur la Fac d’Arras, je décidai de migrer vers le club du littoral qui m’avait impressionné. Bien m’en a pris…
Je me souviens m’être pointé au stade Romain Rolland, un soir, fin août( ?). Quelques joueurs trottinaient autour du terrain et l’on m’a accueilli à bras ouverts. Quelle agréable surprise ! Les présentations étaient faites, mon humilité me poussant à me présenter comme un simple prétendant à l’équipe 3, l’équipe 2 après quelques années… Tito, Pierrot, Dindin étaient de ces personnes qui m’ont mis d’emblée sur les bons rails. J’ai très vite trouvé ma place dans ce groupe, place qu’on m’avait offerte généreusement. On m’appelait par mon prénom alors que je ne connaissais pas encore les prénoms de tout le monde ! Bien que je ne pouvais pas assister à tous les entraînements, études sur Arras obligent, je me trouvais sur la liste des joueurs de l’équipe B. Remplaçant ou titulaire, peu m’importait, j’étais très surpris, même très honoré de lire mon nom sur cette feuille d’équipe. Je n’en demandais pas plus, j’étais vraiment comblé.
Assez vite, on m’offrit ma chance en équipe première. Plus par défaut que pour mes qualités, sans aucun doute, certains titulaires blessés ou absents obligeaient les entraîneurs à venir piocher en B. J’allais jouer avec le maillot de Bruno, Fifi, des figures emblématiques à mes yeux, des monstres physiques, des joueurs dont l’expérience et la stature en faisaient des titulaires indéboulonnables. Je ne faisais pas le poids. C’était un match contre le LUC, Dindin m’avait annoncé ma titularisation dans les vestiaires du club, le matin-même. C’te frousse ! Qu’allais-je bien pouvoir faire ? Serai-je à la hauteur ? En tout cas, j’allais faire ce que je savais faire. On me rassura, m’encouragea et, finalement, nous gagnâmes sur un score étriqué, 6-3 ou 6-0, l’état déplorable du terrain, boue à 90%, ne permettant pas du « grand jeu ». Dès lors, je jouai pratiquement tous les matches du reste de la saison avec l’équipe première, titulaire ou remplaçant. Je ne me rappelle plus du match en lui-même, en revanche, la satisfaction dans les vestiaires, les tapes amicales des « grands » joueurs sur la tête ou dans le dos réussirent à m’arracher quelques larmes de fierté. Si on m’avait dit que j’allais, un jour, jouer un match de Nationale 3 en équipe première !
Durant de nombreuses saisons, j’ai creusé mon trou, essayé de donner le meilleur même si j’avais souvent l’impression, le match fini, que j’aurais pu mieux faire, faire autrement. Je n’ai pas l’impression d’avoir jamais « triché », la peur était certes présente avant chaque coup d’envoi, celle-ci disparaissait dès le coup d’envoi. J’ai connu de grandes déceptions, pas nécessairement des défaites. L’un de mes plus grands regrets est de ne pas avoir joué les Play-offs de N3 dès ma première saison. J’étais en concurrence avec CPJ et mon nom n’apparut seulement que dans la liste des remplaçants. Notre équipe passa deux ou trois tours ; à chaque fois, je fus frustré d’assister à la victoire des miens sans avoir participé à la rencontre, l’échauffement tout au plus… Je me souviens de Laurent G venir me parler dans le bus du retour. Signe que je faisais partie d’une équipe.
Mon envie de jouer était plus forte que celle de gagner, je voulais m’amuser et je dois bien avouer que certaines victoires avaient un goût amer alors que des défaites honorables me rendaient fiers. Je me souviens d’un match à Soissons, 30 joueurs dans le bus tout au plus, forfait perdu pour l’équipe B, nous étions promis à une défaite sévère. L’équipe alignée sur la feuille de match était improbable. Sauf que nous avons défendu chèrement notre peau, n’encaissant qu’une trentaine de points alors qu’on nous en prédisait 80 au bas mot. Le match fini, j’étais fier de l’équipe, fier des joueurs, de nombreux adversaires vinrent nous saluer comme de coutume, mais à leurs commentaires, nous comprîmes que nous avions gagné leur respect. L’arbitre, lui-même, vint me féliciter. J’étais alors capitaine.
Le capitanat, durant presque deux saisons, fut, à la fois, une de mes plus grosses fiertés mais aussi un des plus gros fardeaux. Fierté car je ne m’y attendais pas, comme ma première titularisation en première, c’était la reconnaissance par l’entraîneur et certains joueurs-clés de mes qualités, un fardeau car, d’un point de vue purement rugbystique, je n’étais pas un joueur doué. D’autres potes avaient infiniment plus de qualités sportives que ce que j’ai jamais eues. J’ai voulu apporter un peu de tempérance dans cette équipe, de sérénité. Hélas, ce manque de confiance qui m’accompagne encore aujourd’hui ne m’a pas permis de gagner le respect de tous les joueurs. Je le regrette encore aujourd’hui. J’ai ma part de responsabilité.
J’ai aussi ma Coupe du Monde à moi : le titre de Champion Honneur en 2002. Finale remportée en 2002 contre Marcq-en-Baroeul. Une grande communion avec tous les membres du club, une joie et une fierté indescriptible. Alors que toute l’équipe arrosait comme il se doit la victoire à l’Arms Park, Gégé, Jean-Pierre et Georges m’adressèrent quelques paroles qui resteront à jamais gravées dans mon cœur.
Bon, je vous épargne les autres grands moments qui ont jalonné ma vie de joueur de rugby. Je tenais simplement à rendre hommage à ce sport qui, d’un mec banal pas sportif pour un sou, a su en faire un joueur respectueux et respecté de ses pairs. Et, loin de moi l’idée de vous faire le coup de « l’esprit rugby », je reste persuadé que le rugby est une des rares sports (le seul) qui m’a permis de m’épanouir, m’a accepté sans préjugé, m’a fait une place.

Merci à vous tous.
Gégé, Laurent, Tito, Dindin, Pierrot, Vincent, Charles, Bello (père et fils), Jean-Marc, Jean-Marie, Jean-Yves, Didier, Dany (x2), Alex (x2), Christophe (y’en a plein), Nicolas, Fabrice, CPJ, Manu, Ludo, Jérémy (x2), Sam, Jérôme (x2), Akim, Georges, Jean-Pierre, Mickaël B, Bertrand, David, Rémi, Jojo, Fred (x3), Nanar, Marc, Alain, Djil, Bruno, Romain, Denis, Benoît x2), Xavier (x2), etc.
Désolé pour ceux que j’oublie mais y’en a tellement, je rectifie au fur et à mesure. Promis juré.

2 commentaires:

  1. quel beau sport en effet ! je l'ai pratiqué en scolaire et en universitaire et j'ai adoré : malheureusement, habitant loin de tout, je n'ai pas pratiqué en club et c'est un regret.
    Comme toi, je n'étais pas sportif, n'avais pas confiance en moi mais étais grand. Au rugby, j'ai tout de suite senti que j'appartenais à un groupe où chacun avec sa différence apportait quelque chose. C'est le seul sport où j'ai senti qu'il y avait de la place même pour le "non talentueux".
    Si il y a un sport où j'aurais pu ne pas être trop mauvais, c'est celui ci.... mais j'ai arrêté et je ne fais du rugby plus que devant ma télé !

    Arclusaz

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    Réponses
    1. Merci pour ta réponse Arclusaz!
      J'aurais encore beaucoup à écrire sur mes années "rugby", le bon et le moins bon, notamment la violence gratuite qui, selon nombre d'initiés, faisait partie intégrante du jeu. J'ai jamais adhéré, on me l'a souvent reproché.
      LA violence de certains me choquaient, comment pouvait-on en arriver là?

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