Le rugby et mon esprit
Le
rugby, je ne suis pas tombé dedans quand j’étais petit, aucune
prédisposition, aucune incitation familiale. Tout juste quelques matches
regardés d’un œil curieux lors des retransmissions du Tournoi des V
Nations.
C’est cette putain d’adolescence qui m’a poussé à
franchir le pas. Enfin, plutôt la fin de l’adolescence, l’heure des
premiers bilans, quand on n’est malheureusement plus un gamin, mais
pas encore un homme, encore moins un adulte. Les premières amours, non
réciproques, qui riment avec les premières claques (non, pas les
premières finalement, les plus douloureuses sûrement), ne manquent pas
de me renvoyer à la figure l’image d’un grand échalas, empoté, gras et
peu sûr de lui (doux euphémisme). Par réaction, j’ai préféré passer mon
adolescence avec ma solitude, une canne à pêche à la main et des rêves
plein la tête. Autant dire que ma culture physique et sportive se
résumait à quelques séances d’EPS « subies », au collège et au lycée.
J’étais un élève médiocre en sport, « l’intello » sympa de la classe,
avec un goût vestimentaire incertain (c’est toujours le cas) et des
relations sociales qui se limitaient à de la bonne camaraderie, gent
féminine comprise. Or, la camaraderie se marie très mal avec le
bouillonnement hormonal qui sévissait à l’aube de mes 20 ans. Non pas
que j’étais une bête incontrôlable dont la libido submergeait les digues
de la raison, je ressentais un besoin viscéral de trouver une personne
apaisante, une personne refuge. Mais là, n’est pas le sujet.
Dans
quelle activité sportive aurais-je pu m’investir alors que je n’avais
jamais pratiqué un quelconque sport au sein d’un club ou même d’un
groupe de copains ? Très difficile de débouler dans un club de foot,
volley, basket alors que la majorité voire la totalité des joueurs le
pratique depuis l’âge de 12 ans voire moins ? Ou ont un passé sportif
qui leur permet d’accrocher « le wagon » sans passer par la case «
départ », celle où l’on se forge coordination motrice, équilibre,
adresse, vélocité et endurance ? Très vite, l’idée du rugby s’est
imposée : une activité de plein air, par équipe, un jeu de balles. Je
pensais que ma taille pourrait être un atout dans ma quête d’intégration
d’une équipe, quelle qu’elle soit.
Je suis d’abord passé par le
sport universitaire, des entraînements le lundi après-midi vers 14h, si
je ne m’abuse. On était quatre ou cinq maximum, trois parfois, Édouard
en GO-entraineur. Comment arrivait-on à s’entraîner à trois ? Je me le
demande encore, on courait, tombait, éclatait de rires, pestait de
douleur mais on s’amusait et j’avais, enfin, l’impression de me faire du
bien, physiquement et mentalement. Édouard, notre Gentil Entraineur,
était une personne souriante, expansive, généreuse, le physique à
l’avenant. Son statut d’ainé lui conférait un soupçon d’autorité qui
suffisait à faire des ces entrainements des moments privilégiés où
chacun, novice ou confirmé, pouvait prendre du bon temps. Avec du recul,
je conçois que les joueurs licenciés en club devaient se faire chier
royalement. Les jeudis après-midi voyaient les équipes universitaires se
rencontrer sur les terrains de la banlieue lilloise. Autant dire que
l’équipe dont je faisais partie ne brillait pas spécialement ;
Université de Lille III, Arts et Lettres ne rimait pas vraiment avec
culture sportive… Cependant, il suffisait que quelques joueurs clés
rejoignent l’équipe pour que ce joyeux bordel organisé prenne une toute
autre allure. Pas nécessairement des joueurs de rugby, simplement des
gars qui savaient courir une balle en main, ou des types qui n’avaient
pas peur de rentrer dans le lard, démontrant ainsi leur amour pour la
géométrie euclidienne, à savoir que « La plus courte distance entre deux
points est la ligne droite ». Tout le monde était le bienvenu, chacun
pouvait y trouver sa place. J’y trouvais ma place. Si je devais
expliquer ce qu’est le rugby à mes yeux, je sortirais quelques souvenirs
de cette période. C’était une auberge espagnole, chacun y venait avec
ses qualités, ses défauts et il suffisait d’un rien pour que la
mayonnaise prenne : bienveillance des « cadres », spontanéité des
novices, amateurisme de l’organisation, aucun carcan ou pression sinon
celle de la camaraderie. Sans oublier les quelques pressions que nous
n’omettions jamais de baller lors des troisièmes mi-temps qui, loin
d’être des beuveries, clôturaient joyeusement nos exploits sur le gazon
Durant ces quelques années, j’ai lié de nombreuses amitiés: François,
Tof, Karim, Gros (Grand) Seb, Lou etc. Autant de potes que j’avais
plaisir à croiser, autant de personnes qui me renvoyaient une image
globalement positive de ma personne, je faisais partie d’un groupe,
d’une équipe, improbable certes, fragile sans aucun doute mais qui
rayonnait d’ondes positives. Malheureusement et fatalement, j’en ai
perdus de vue en route, chemin faisant vers la vie professionnelle. L’un
d’entre eux est devenu un Ami. Un ami du genre que l’on compte « sur
les doigts de la main du baron Empain, voire de Django Reinhardt, pour
les plus misanthropes. » dixit P. Desproges.
Puis ce fut
l’expérience en club… Assez rude pour ne rien vous cacher. Durant une
année, j’ai fourbi mes armes en équipe 3 de l’Iris Club de Lille. À
peine 19 ans et je côtoyais pour la première fois de « vrais » sportifs
dans un « vrai » clubs avec de « vrais » objectifs. L’accueil fut
relativement froid. Bien différent de l’idée que je me faisais du sport
en club. Je devais faire mes preuves.
Mon premier match fut une
Bérézina, contre l’équipe 3 d’Arras, club phare de la région au passé
glorieux. On a mangé sévère ! 80 ou 90 points à rien. Et c’est là que
j’ai découvert que l’on pouvait être violent gratuitement envers un
total inconnu… Sauf que l’inconnu, c’était moi. Mal placé, naïf et doux
comme l’agneau, je sortis au bout de trente minutes après m’être pris un
bon caramel au niveau du plexus. Sans ballon, par surprise, ma fierté
en prit un coup. Il fallait se rendre à l’évidence : les lauriers
étaient encore bien loin. Néanmoins, je n’ai pas baissé les bras et,
durant cette saison, j’ai tenté de montrer le meilleur de moi-même,
sympathisant au passage avec d’autres p’tits gars comme moi qui
tentaient tant bien que mal de se faire une place dans le groupe
compétitif. Timothée et Gérard étaient de ceux-là.
La deuxième année
au sein de ce club de Lille me vit accéder à l’équipe B. Non pas que
j’avais progressé- je n’en avais pas l’impression - mais l’équipe
première, championne des Flandres, avait accédé au niveau national et
avait étoffé le groupe promis aux joutes sur les terrains de Picardie,
Normandie et région parisienne. Petit à petit, j’ai fait mon trou et fut
reconnu par quelques cadres. Oh, ce n’était pas encore la gloire ni
l’intégration satisfaisante mais on commençait à connaître mon prénom et
mes qualités - alors que cela faisait 8 mois que je connaissais les
prénoms de tous les types du club-. Je me suis endurci, faut dire que la
barre était très basse. Quelques bons matches en B et je fis deux piges
sur le banc des remplaçants en équipe première. Une fois à Massy,
grosse branlée en perspective, et la deuxième fois à Saint-Pol sur mer,
grosse branlée aussi. Dans les rangs de cette équipe de Saint Pol jouait
un certain Vern Cotter, entraîneur-joueur qui avait « bâti » autour de
lui une équipe performante, celle-ci jouait le haut du tableau de la
Nationale 3. Malheureusement, et comme j’aurais pu le deviner, la saison
s’est terminée en eau de boudin. Les résultats de l’équipe première
était catastrophique, ceux de la B, à l’avenant et, dans ces conditions,
l’ambiance n’était pas des plus sereines. J’eus également la
désagréable impression qu’il était beaucoup plus facile de s’intégrer en
étant une grande gueule arrogante qu’un jeunot discret. Mes études
m’envoyant sur la Fac d’Arras, je décidai de migrer vers le club du
littoral qui m’avait impressionné. Bien m’en a pris…
Je me souviens
m’être pointé au stade Romain Rolland, un soir, fin août( ?). Quelques
joueurs trottinaient autour du terrain et l’on m’a accueilli à bras
ouverts. Quelle agréable surprise ! Les présentations étaient faites,
mon humilité me poussant à me présenter comme un simple prétendant à
l’équipe 3, l’équipe 2 après quelques années… Tito, Pierrot, Dindin
étaient de ces personnes qui m’ont mis d’emblée sur les bons rails. J’ai
très vite trouvé ma place dans ce groupe, place qu’on m’avait offerte
généreusement. On m’appelait par mon prénom alors que je ne connaissais
pas encore les prénoms de tout le monde ! Bien que je ne pouvais pas
assister à tous les entraînements, études sur Arras obligent, je me
trouvais sur la liste des joueurs de l’équipe B. Remplaçant ou
titulaire, peu m’importait, j’étais très surpris, même très honoré de
lire mon nom sur cette feuille d’équipe. Je n’en demandais pas plus,
j’étais vraiment comblé.
Assez vite, on m’offrit ma chance en équipe
première. Plus par défaut que pour mes qualités, sans aucun doute,
certains titulaires blessés ou absents obligeaient les entraîneurs à
venir piocher en B. J’allais jouer avec le maillot de Bruno, Fifi, des
figures emblématiques à mes yeux, des monstres physiques, des joueurs
dont l’expérience et la stature en faisaient des titulaires
indéboulonnables. Je ne faisais pas le poids. C’était un match contre le
LUC, Dindin m’avait annoncé ma titularisation dans les vestiaires du
club, le matin-même. C’te frousse ! Qu’allais-je bien pouvoir faire ?
Serai-je à la hauteur ? En tout cas, j’allais faire ce que je savais
faire. On me rassura, m’encouragea et, finalement, nous gagnâmes sur un
score étriqué, 6-3 ou 6-0, l’état déplorable du terrain, boue à 90%, ne
permettant pas du « grand jeu ». Dès lors, je jouai pratiquement tous
les matches du reste de la saison avec l’équipe première, titulaire ou
remplaçant. Je ne me rappelle plus du match en lui-même, en revanche, la
satisfaction dans les vestiaires, les tapes amicales des « grands »
joueurs sur la tête ou dans le dos réussirent à m’arracher quelques
larmes de fierté. Si on m’avait dit que j’allais, un jour, jouer un
match de Nationale 3 en équipe première !
Durant de nombreuses
saisons, j’ai creusé mon trou, essayé de donner le meilleur même si
j’avais souvent l’impression, le match fini, que j’aurais pu mieux
faire, faire autrement. Je n’ai pas l’impression d’avoir jamais « triché
», la peur était certes présente avant chaque coup d’envoi,
celle-ci disparaissait dès le coup d’envoi. J’ai connu de grandes
déceptions, pas nécessairement des défaites. L’un de mes plus grands
regrets est de ne pas avoir joué les Play-offs de N3 dès ma première
saison. J’étais en concurrence avec CPJ et mon nom n’apparut seulement
que dans la liste des remplaçants. Notre équipe passa deux ou trois
tours ; à chaque fois, je fus frustré d’assister à la victoire des miens
sans avoir participé à la rencontre, l’échauffement tout au plus… Je me
souviens de Laurent G venir me parler dans le bus du retour. Signe que
je faisais partie d’une équipe.
Mon envie de jouer était plus forte
que celle de gagner, je voulais m’amuser et je dois bien avouer que
certaines victoires avaient un goût amer alors que des défaites
honorables me rendaient fiers. Je me souviens d’un match à Soissons, 30
joueurs dans le bus tout au plus, forfait perdu pour l’équipe B, nous
étions promis à une défaite sévère. L’équipe alignée sur la feuille de
match était improbable. Sauf que nous avons défendu chèrement notre
peau, n’encaissant qu’une trentaine de points alors qu’on nous en
prédisait 80 au bas mot. Le match fini, j’étais fier de l’équipe, fier
des joueurs, de nombreux adversaires vinrent nous saluer comme de
coutume, mais à leurs commentaires, nous comprîmes que nous avions gagné
leur respect. L’arbitre, lui-même, vint me féliciter. J’étais alors
capitaine.
Le capitanat, durant presque deux saisons, fut, à la
fois, une de mes plus grosses fiertés mais aussi un des plus gros
fardeaux. Fierté car je ne m’y attendais pas, comme ma première
titularisation en première, c’était la reconnaissance par l’entraîneur
et certains joueurs-clés de mes qualités, un fardeau car, d’un point de
vue purement rugbystique, je n’étais pas un joueur doué. D’autres potes
avaient infiniment plus de qualités sportives que ce que j’ai jamais
eues. J’ai voulu apporter un peu de tempérance dans cette équipe, de
sérénité. Hélas, ce manque de confiance qui m’accompagne encore
aujourd’hui ne m’a pas permis de gagner le respect de tous les joueurs.
Je le regrette encore aujourd’hui. J’ai ma part de responsabilité.
J’ai aussi ma Coupe du Monde à moi : le titre de Champion Honneur en
2002. Finale remportée en 2002 contre Marcq-en-Baroeul. Une grande
communion avec tous les membres du club, une joie et une fierté
indescriptible. Alors que toute l’équipe arrosait comme il se doit la
victoire à l’Arms Park, Gégé, Jean-Pierre et Georges m’adressèrent
quelques paroles qui resteront à jamais gravées dans mon cœur.
Bon,
je vous épargne les autres grands moments qui ont jalonné ma vie de
joueur de rugby. Je tenais simplement à rendre hommage à ce sport qui,
d’un mec banal pas sportif pour un sou, a su en faire un joueur
respectueux et respecté de ses pairs. Et, loin de moi l’idée de vous
faire le coup de « l’esprit rugby », je reste persuadé que le rugby est
une des rares sports (le seul) qui m’a permis de m’épanouir, m’a accepté
sans préjugé, m’a fait une place.
Merci à vous tous.
Gégé,
Laurent, Tito, Dindin, Pierrot, Vincent, Charles, Bello (père et fils),
Jean-Marc, Jean-Marie, Jean-Yves, Didier, Dany (x2), Alex (x2),
Christophe (y’en a plein), Nicolas, Fabrice, CPJ, Manu, Ludo, Jérémy
(x2), Sam, Jérôme (x2), Akim, Georges, Jean-Pierre, Mickaël B, Bertrand,
David, Rémi, Jojo, Fred (x3), Nanar, Marc, Alain, Djil, Bruno, Romain,
Denis, Benoît x2), Xavier (x2), etc.
Désolé pour ceux que j’oublie mais y’en a tellement, je rectifie au fur et à mesure. Promis juré.
quel beau sport en effet ! je l'ai pratiqué en scolaire et en universitaire et j'ai adoré : malheureusement, habitant loin de tout, je n'ai pas pratiqué en club et c'est un regret.
RépondreSupprimerComme toi, je n'étais pas sportif, n'avais pas confiance en moi mais étais grand. Au rugby, j'ai tout de suite senti que j'appartenais à un groupe où chacun avec sa différence apportait quelque chose. C'est le seul sport où j'ai senti qu'il y avait de la place même pour le "non talentueux".
Si il y a un sport où j'aurais pu ne pas être trop mauvais, c'est celui ci.... mais j'ai arrêté et je ne fais du rugby plus que devant ma télé !
Arclusaz
Merci pour ta réponse Arclusaz!
SupprimerJ'aurais encore beaucoup à écrire sur mes années "rugby", le bon et le moins bon, notamment la violence gratuite qui, selon nombre d'initiés, faisait partie intégrante du jeu. J'ai jamais adhéré, on me l'a souvent reproché.
LA violence de certains me choquaient, comment pouvait-on en arriver là?