mardi 31 juillet 2012

Camouflage

Ce texte a plus de deux ans, néanmoins le propos n'a toujours pas besoin d'être édulcoré. Je pense avoir tiré un rideau de pudeur sur cette période douloureuse. Je relis cela plus sereinement et trouve qu'il serait intéressant d'y ajouter quelques épisodes. Celui-ci n'étant qu'un prologue...


Mars 2010



Camouflage : Chez les animaux, le camouflage est une des formes du mimétisme. (Wikipédia)
J’ai beaucoup de mal à parler de mon adolescence. Non pas que les souvenirs manquent ni que la honte m’étreigne à l’évocation de certains épisodes douteux mais j’éprouve de la tristesse à ressasser cette période de ma vie. Les images qui me reviennent sont empreintes de frustration, d’hésitation, de questionnement existentiel. Lieu commun, me direz-vous. Certes l’adolescence est par essence un conflit puis une émancipation douloureuse où l’expérimentation et le questionnement génèrent de nombreux souvenirs qui, à défaut d’être croustillants, sont souvent l’occasion de concours d’anecdotes lors de dîners entre amis ; néanmoins je n’éprouve aucune tendresse pour mon « moi » adolescent. Au mieux de la mélancolie.
Durant ces quelques années, bien trop nombreuses et trop longues à mon goût, j’ai acquis une certaine capacité à me fondre dans la masse grouillante des ados. Me camoufler au milieu de mes congénères ne fut pas si difficile ; passer son temps à faire, dire, réussir  ce que l’on attendait de moi était une seconde nature. Parce qu’il n’y a pas que les adultes qui attendaient de moi, il y avait mes pairs, garçons et filles, XX et XY, boutonneux et boutonneuses. Certainement les plus exigeants, les plus cruels… Rien ne devait dépasser. « Mets-toi bien dans le rang », « écoute ça ! », « viens ici », « fais pas ci, fais pas ça » aurait dit Jacques, sauf que les emmerdeurs se matérialisaient sous la forme de clones et « clonettes » de dix-huit piges. J’ai tout naturellement adopté une technique de camouflage qui ne m’a plus quitté depuis. Oui, le camouflage. Se camoufler, la plupart des prédateurs usent de cet art pour bouffer, moi, c’était pour éviter de me faire bouffer. Se fondre, mimer, imiter, voilà en quoi consistait la plupart de mes journées. Faire semblant. Faire semblant d’exister.
Ce décalage avec la réalité, avec MA réalité fut à l’origine de nombreux quiproquos, de malentendus. Malentendus qui m’obligeaient chaque fois à revêtir une nouvelle tenue de camouflage, celle du bon élève, du bon fils, du bon copain. Sans aucun doute, celle du bon copain m’a causé le plus de peine. Et plus je m’évertuais à m’en extirper, plus je m’y enfonçais, plus on m’y enfonçait… Le copain confident, ça, j’ai su faire. Souvent. Trop souvent. Alors que mon for intérieur m’appelait à tout envoyer valdinguer, à envoyer chier garçons et filles venus s’épancher sur l’épaule réconfortante du « grand », je jouais à la perfection le rôle que l’on m’avait assigné, que je m’étais assigné de peur de décevoir, d’être délaissé. Tout ce que je voulais était de devenir vraiment l’un d’entre eux, vivre les mêmes histoires d’amour à la con, connaître les mêmes plans cul sans lendemain, goûter aux mêmes paradis artificiels. Être parmi mes semblables et ne plus faire semblant.
Ou ne plus en avoir conscience.
Période cruelle que celle des premières amours où faire semblant était la condition sine qua none à la découverte de l’autre féminin : faire semblant d’écouter, d’aimer, de compatir. Faire semblant d’être heureux, d’être triste, de s’amuser, d’apprécier le film, de sourire pour la photo. Tricher était la règle. Malheureusement pour elle - et pour moi - l’apparence n’était pas conforme, le contenu en contradiction avec le contenant. Pas bien efficace pour les relations durables… De déception en déception, j’ai tracé mon chemin laissant beaucoup de monde sur le bord de la route, sur le bord des routes. Ou plutôt, l’on me débarquait, je ne faisais plus partie du voyage, du paysage, « allez, casse-toi ! T’es sympa mais va voir ailleurs. »
Ce petit jeu n’a pris réellement fin qu’avec la naissance de mon premier enfant, j’ai inconsciemment cessé de tricher avec mon « sang ». Enfin.

Avec mon sang.
C’est déjà ça…


Epilogue
Il y a quelques jours, le mot « camouflage » m’est apparu au détour d’une conversation entre collègues de boulot. Ce mot collait parfaitement à ma conception du monde professionnel. Et de fil en aiguille, j’ai pris conscience que j’avais passé la majeure partie de mon existence à me camoufler, me cacher. Douloureuse lucidité.
Ne pas se faire bouffer.

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