vendredi 21 janvier 2011

Aqualud, antichambre de l'Enfer - Épisode 3 ou Quand l’auteur touche le fond…

Cela fait bientôt 90 minutes que je tente de survivre en milieu hostile. Le bilan, bien que peu reluisant, n’est pas encore catastrophique : quelques échauffements au niveau de épaules et de la hanche, un coccyx qui se rappelle à mon bon  souvenir, les talons endoloris et des yeux de lapin russe. « La douleur n’est qu’une information, John ! » hurlerait le colonel Trautman au beau milieu des rizières du Vietnam. J’ai beau me trouver à côté d’un palmier en plastoc et dans un milieu chargé d’humidité, je ne m’appelle pas Rambo et je ne vais pas commencer à massacrer femmes, vieillards et enfants à grands coups de frites de piscine… Je suis d’un naturel pacifique.
Il faut donc continuer. Et comme le dirait Fredo Mercure, un pote sosie de qui-vous-savez« Ze sho must go onne! ».
La sirène du “tsunami de baignoire” retentit de nombreuses fois, les gamins s’éclatent, ils sont ravis. J’ai droit à une séance de catch aquatique délivrée par ma chère progéniture. L’occasion de me venger. Gnark gnark ! On va voir qui c’est le patron… Pirouettes, catapultages et apnées forcées sont autant de cordes à mon arc pour asseoir mon autorité de mâle Alpha.
« Qui c’est le plus fort ? Hein ? (PLOOOOUUUFF !!)
-          Pas töôôaaaa ! (PLOUUUFFF !)
-          Alors, qui c’est le patron ? (re- PLOUFFF !)
-         Paaapaaaa !
-          Bien…. (rere-PLOUFFF ! Bah oui, il faut savoir enfoncer le clou…
Ce combat mythologique du père contre sa progéniture m'amusent beaucoup. Tant qu'on ne me coupe les roubignolles (cf Ouranos et son fils Cronos)... mais ils finissent par s’en lasser. Ils hurlent vouloir retenter la  Rivière Sauvage « trop sauvage pour moi ». Je décline une nouvelle fois l’invitation et préfère déambuler sous la pyramide vitrée à la recherche d’un quelconque réconfort. Je m’apprête à sortir du bassin quand :
«  SSPPRRRRRRRSHHSHSHSHS ! »
Un jet d’eau me fouette la gueule et l’épaule. Irrité, je cherche du regard le morbac qui me prend pour cible. Tel un manchot sur sa banquise, j’entame un 360° sur une jambe. Je scrute la foule. Muscles bandés,   je suis prêt à bondir sur l’enfoiré et lui arracher la carotide avec les dents.
«  re-SSPPRRRRRRRSHHSHSHSHS ! »
Putain de bordel de merde ! D’où c’est qu’ça vient ? Je m’écarte promptement du jet parabolique qui me cingle le visage et finit par apercevoir l’arme et, cramponné sur la gâchette comme une moule à son rocher, le fautif. Deux canons à eau sont juchés sur un bateau pirate qui surplombe le bassin. Les gosses s’amusent à asperger quiconque passe à leur portée ; évidemment un grand dadet comme moi, ça se loupe pas. Z’ont rien d’autre à foutre que d’emmerder le monde ?? Non, mais des fois ! P’tits cons.
Le temps passe et je commence à me les geler sévère. Fatigue et stress aidant, une idée folle me traverse l’esprit. Une putain de bonne idée !
« Arrête de bouder,  Yaya ! Et si tu allais avec les gosses dans la Rivière Sauvage ??? Tu feras attention et tout ira bien ! »
Allez, ça y est ! Je suis super motivé (tiens, ça me rappelle quelqu’un…), ‘vais pas me laisser emmerder par un caniveau et trois remous ! Je me lance en compagnie de ma femme et des gamins. Il y a beaucoup plus de monde que tout à l’heure ! Ça déboule de toute part, mes sens sont en éveil. Il s’agit de ne pas assommer une gamine ou d’écraser un marmot de 5 ans dans les « marmites »  qui jalonnent le parcours. Hop ! On y va… Wahou, purée, ça glisse ! Je dérape. Le courant est plus puissant, je ne contrôle pas grand-chose ! Ehhh, merde, y’a TROP DE MONDE DANS CE BORDEL ! SPLAOUTCH !!! Je m’explose une nouvelle fois le coccyx sur le fond de la rivière, la douleur est vive. Cette fois-ci, je me suis bien ruiné ! Et ça continue… Alors que je tente de suivre Marion et Jojo lancés à toute berzingue dans les méandres du ru, je ne prête pas attention aux trois adolescentes qui sont avachies à la sortie d’une cascade. Ça sent le roussi… Lancé à vive allure, j’opère une rotation sur moi-même afin d’éviter la collision, et plie les jambes pour leur épargner une chirurgie faciale réparatrice voire une décapitation ! Le résultat de ces gesticulations ne se fait pas attendre : mon coefficient de pénétration dans l’eau est trop faible. « May Day ! May Day ! Éjection ! Éjection ! » Double SPLAOUTCH et CccccccrRrRrrRRr. Impossible de crier sous l’eau, je risquerais la noyade. Je remonte à la surface, et l’on peut lire sur mon visage la haine, la douleur et le désespoir du gars qui se demande : « Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour atterrir ici ??? ». Les derniers mètres sont parcourus debout. Je grimace et maudis la terre entière. Je me suis pas loupé, je le sens. J’ai dû perdre deux vertèbres et quinze centimètres d’épiderme au niveau du coccyx, pas possible autrement. Je sors de cet enfer liquide en claudiquant, une main sur les reins, l’autre prête à tarter le premier qui aura l’outrecuidance de m’éclabousser, m’asperger ou m’humecter.  Je rejoins mes ouailles et un bilan s’impose. Le récit de mes mésaventures est épique et, dans une tentative désespérée de susciter la pitié auprès des miens, ma main se porte à l’endroit douloureux, c’est-à-dire le bas du dos, là "d’où qu’y a un os bien saillant qui fait ‘achement mal quand on tombe dessus" ! Les piètres pratiquants de roller ou autre sport de glisse connaissent… Et c’est là que tout bascule !
« Mais….mais… putain de bordel à couille de bonne sœur ! C’est pas vrai ??!!! J’ai niqué mon maillot !! Y’a un trou dans mon maillot de bain  Alain Mickael Bernard Phelps ! » Et pas qu’un ! Trois trous bien nets comme pratiqués à l’aide d’une cigarette. En plus de m’être raboté le cul, j’ai pourri un maillot qui m’a coûté un bras ! « RHHHHAAAAA ! AAAARRRRGGGGHHH ! POURQUOI ? POURQUOIIIII ??? Enfer et damnation, je suis MAAAAUUUUDDDIT !!! Combien de temps encore vais-je devoir subir ces outrages à ma frêle personne ? »
Alors là, je suis passablement irrité ! Vexé comme un pou, je me dirige vers les vestiaires pour y chercher un drap de bain, me confectionner  un pagne et cacher ma nudité postérieure à peine dévoilée. Manquent plus que le collier de fleurs et le Yukulélé.  Aloha…
Ça y est, j’ai mon compte. Je reste planté prés des transats à attendre que l’heure tourne. La larme à l’œil et la rage au ventre, j’observe ces familles heureuses dont l’insouciance n’a d’égale que le pétillement des yeux des enfants au son de la sirène annonçant l’arrivée imminente des vaguelettes…
MAIS PUTAIN, C’EST TROP FACILE !
C’EST QU’ELLES ONT PAS UN TROU DANS LEUR CALBUTH, ELLES !!
NI LAISSÉ DES LAMBEAUX DE PEAU AU FOND DE CES TUYAUX DE MEEEEEERRRRDDDEEEEUUU !
Mâchoires serrées, je rumine. Quand mon regard se pose sur le simili-bateau pirate et ses canons à eau. Georges et Marion attendent patiemment que la place se libère pour pouvoir user de cette arme d’emmerdement massif. Mes yeux s’illuminent. Une flamme y brille. Les neurones tournent à plein régime et un mot apparait dans mon esprit. En lettres de sang.
VENGEANCE !!!
Je me précipite à leur rencontre, leur sourit et bouillonne d’impatience à l’idée d’assouvir mes plus bas instincts. La place se libère. J’empoigne Jojo, le hisse sur le canon, lui adjoint de tirer sur la manette sans relâche. Et tel un sniper au milieu des ruines de Stalingrad, je me camoufle derrière mon fils ! Je vise.
Et SPLASH dans la tête du mouflet qui passait par là. C’est pas moi, c’est Jojo ! Et re- SPLASH dans la gueule de la mamie béate d’admiration devant son petit-fils affublé de brassards ridicules. C’est pas moi, c’est Jojo ! Et voilà aussi pour toi, l’inconnu qui tente de prendre des photos de sa progéniture. T’avais qu’à pas êt’là ! Dommage collatéral. C’est pas moi, c’est Jojo !
Je passe près de vingt minutes à hydro-flinguer tout ce qui passe à ma portée. Même ce qui semble hors de portée ! J’invente des techniques qui permettent de gagner quelques mètres d'allonge. Mes nombreux concours de celui-qui-pisse-le-plus-loin me servent aujourd’hui. Je suis omnipotent. Je suis le Tout-Puissant du pistolet à eau. Je suis l’Ange rédempteur qui vous fera expier vos fautes. Je … Je …. JE VOUS EMMERDE !!!!! ARGGGHHH !!! RRRHHAAAAA !!! Splitch ! Splitch ! Splitch ! Splitch ! Splatch!  Splatch!  Splatch!  Splatch!  Splatch!  Sploutch! Sploutch! Sploutch! Sploutch! (détonation de mitrailleuse lourde à eau).
Ça y est, l’heure a sonné. Il est temps de partir. Soulagé mais penaud, je quitte l’antre de Poséïdon. Les enfants sont heureux, la déception se lit sur leur visage. Dans un élan d’amour paternel, je me surprends à leur promettre de revenir. Revenir ? Oui, mais quand ? J’en tremble d’avance.
Si Jipé Sartre avait traîné ses tongs dans ce lieu de perdition, sûr qu’il aurait écrit : « Aqualud, c’est les autres. »

3 commentaires:

  1. Du grand Rag' cette conclusion !!!!
    "Mais enfin pleurez pas, on y retournera (avec vos enfants..)"
    Bon faudrait que tu testes un autre truc maintenant. Un truc genre la foire du trone ou une journée au cirque, vais en parler à marion et jojo :)

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  2. J'en connais qui n'ont pas hésité à publier des images afin d'expliciter les dégâts qui peuvent survenir au niveau du calbut.
    J'aurais donc apprécié une petite photo pour mieux visualisé les trous dans le maillot.
    Heureux quand même que t'en sois sorti vivant.

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  3. Dire que tu es plus à l'aise dans une foule harenguant le Maire en haut de son beffroi(ah tiens, cela vient donc de là, de ces petits poissons fumés volant à Dunkerque... ??) plutôt que dans un centre aquatique bourré de mamies attentionnées et de gosses excités !!
    Oui je sais,je n'ai pas résisté à relire cet épisode qui me fait rire, vraiment rire !!
    Merci Yaya :-))

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