Épisode 1
La Vie est faite d'expériences plus ou moins
agréables, plus ou moins marquantes qu'un Homme doit endurer, se doit
d'affronter sans broncher ni sourciller. Tête droite, menton volontaire et
torse bombé, telle une statue de bronze soviétique, allégorie du courage et de
l'espérance en des jours meilleurs face à la dure et impitoyable réalité de la
Vie, l'Homme fait front et assiste au pitoyable spectacle de sa misérable
condition humaine. Riches d'enseignements malgré tout, ces expériences
n'en sont pas moins douloureuses pour le corps et l'esprit laissant çà et là
les stigmates du combat.
J'ai donc souffert récemment dans ma chair et dans mon
âme. J'ai posé les pieds -nus- dans ce lieu de perdition que l'on nomme
communément:
Le Parc de jeux aquatiques
C'est Amityville-les-bains, un avant-goût de l'Enfer.
Belzébuth en caleçon à fleurs et tongs aux sabots s'y prélasse lascivement et
les Sept péchés capitaux y prospèrent sans qu'on y retrouve à redire... Aucun
exorciste armé de son goupillon (sic) et de sa Bible Waterproof n'y
promène sa soutane de bain. Courageux mais pas téméraire le curé...
Encore innocent et
ignorant, j'ai opiné du chef lorsque ma femme (pécheresse originelle) proposa
de passer un après-midi à Aqualud, célèbre parc aquatique du Touquet-"Bling
Bling"-Paris-Plage.
"Bonne idée! me suis-je dit.
- Les gamins vont adorer."
Je ne me suis pas trompé.
Ils ont adoré.
Moi, j'ai survécu. Je n'ai pas su interpréter les
signes...
Premier signe:
C'est tout pourri d'extérieur. Ça pue le bâtiment des
années 80 qu'on tente de préserver coûte que coûte... De plus, je peux
apercevoir la partie extérieure du parc qui, du fait que nous soyons en
automne, est fermée au public. Ça caille sévère en novembre, pas question
d'aller se geler les roubignolles sur le "Waïkiki Surf Splash" ou de
se peler les miches dans le "Speed Sploush Tornado de la Death qui
tue"! Je peux donc admirer les multiples déclinaisons de vert que
prennent les eaux stagnantes qui croupissent au fond des bassins et toboggans:
vert algue, vert vomi, vert bouteille, vert caca d'oie, vert laiteux, etc.
Deuxième signe:
Ça coûte un bras. Et si vous me connaissez, vous
imaginez la taille du bras... Sourire de la caissière acariâtre non compris.
Juste un "Touche pas à ça" agressif adressé à mon gamin qui, du haut
de ces quatre ans, avait osé effleurer le présentoir à sucettes... celui-ci
étant installé à hauteur de mômes. La tentation! Un piège à mouflets en somme.
La conne.
La tenancière m'avait
d'emblée refroidi tout en m'échauffant les oreilles: "Va sucer tes Chupas Chups en enfer!" me
suis-je surpris à murmurer. Le ton était donné. C'était mal barré, du chaud et
du froid, c'est un coup à choper la crève!
À suivre...
Une fois le droit de passage, pataugeage et barbotage
réglé, nous franchissons une porte vitrée qui donne sur le Purgatoire. Un long
couloir nous accueille, celui sert de sas entre le monde réel et rationnel d'où
nous venons et la jungle chaude, humide et impénétrable - comme toutes les
jungles et les prostiputes de
la Télé-réalité (qui, elles, ne le sont
pas…impénétrables) - du parc de jeux aquatiques. Nous devons nous
déchausser avant d'accéder aux vestiaires, aux pédiluves et aux
"réjouissances"...
Après moult péripéties, me voilà en tenue de combat:
moule-bite Speedo, tout beau, tout neuf pour glisser sur l'eau comme Phelps ou
Bernard. Bon, ça me servira pas à grand chose ici étant donné qu'on est ici
pour se poiler, pour rigoler et pas pour nager! Avec du recul, je peux dire que
ce beau maillot n'a plus servi à grand chose après l'épisode tragique
de la Rivière sauvage...
"Vous qui entrez,
abandonnez toute espérance."
DANTE, La
Divine Comédie/L’Enfer/Chant III
Les gosses sont excités, on ne les tient plus! Nous
entrons dans cette cathédrale païenne, ça grouille, ça mouille, ça bouillonne.
Un enchevêtrement de toboggans chamarrés nous fait face. Des cris et des
hurlements de damnés nous accueillent et une subtile odeur de graillon vient
me titiller les narines. Les voyants sont au rouge, je vais en baver.
D'un commun accord avec les marmots, nous nous
dirigeons vers cette fameuse "Rivière sauvage", le niveau 1 de la
poilade aquatique: pas de restriction d'âge, c'est une attraction
familiale, sans danger. Sans danger.... Pffff. Sauf pour qui? Devinez.
L'attraction est une sorte de petit ruisseau
entrecoupé de petites "chutes glissantes", 80 cm d'eau au maximum.
Aucun risque qu'un gosse se fasse mal, qu'il se noie ou qu'il ait peur. J'y
vais franco avec toute la famille! Yahou!! Sauf que j'aurais pas dû y aller
"franco", ni "Pinochet". 87 kgs de bidoche et 1m92 lancés
dans ce ruisselet, ça finit par râcler, riper, frotter, cogner... Première
glissade, je me suis explosé les talons. Deuxième glissade, je ramène les
jambes près du corps pour éviter de me retrouver avec des talons au niveau des
hanches. Grosse erreur! Ça fait un effet "bombe"! Je m'explose le
coccyx sur le fond d'un bassin. Autant dire que ça démarre fort.... Troisième
glissade, je freine un max en adoptant une position "étoile de mer":
répartition des masses, diminution de la vitesse, je m'en tire pas trop mal,
l'impact est correct et non douloureux. À part pour mon
amour-propre...Les gamins sont hystériques, ils en redemandent! Perso, j'ai
déjà mon compte.
Je prends quelques minutes pour observer
les gens qui m'entourent. Beaucoup de familles sont présentes mais
encore plus d'adolescents boutonneux et d'adolescentes nichonneuses, c'est le
pompon! Ça court, ça crie, ça rit comme des hyènes, à croire que l'adolescent
est sourdingue - il braille à tout-va et parle "SMS"- et que
l'adolescente a des gênes de singes capucins - elle s'excite, ricane et hurle à
la moindre sollicitation masculine...
Je continue mon inspection des péchés en présence:
La Paresse est personnalisée par quelques personnes affalées
sur les dizaines de transats à leur disposition. Tiens, ça me rappelle les
documentaires animaliers sur les colonies d'éléphants de mer! J’esquisse un
sourire à l’idée du billet que je pourrais pondre sur le blog. La promiscuité a
ceci d’intéressant qu’elle se révèle brusquement une mine d’inspirations si
l’on prend le temps d’en prendre deux ou trois grandes. D’inspirations. Rester
zen et serrer les dents. Quelques bains bouillonnants ont été pris d’assaut et
chaque centimètre carré est le lieu d’une âpre bataille pour avoir le droit de
profiter, non pas de la vague si cher au surfer, mais de la bulle si chère au
glandeur. Un vrai bouillon de culture ! Bactéries et champignons à tous
les étages.
La Gourmandise prend la forme d’un snack où la friteuse
côtoie une improbable machine à hot-dog dans laquelle sont empalées quelques
saucisses Herta. Ça sent l’huile, la graisse à frire. Dix millions de calories
attendent patiemment d’être ingurgitées.
La Luxure n’est pas en reste. Je croise quelques
personnes de sexe féminin portant des maillots de bain dont la surface est
inversement proportionnelle au prix payé… « On tourne un Gonzo
dans le coin ? »
Appliquer à observer le bestiaire qui m’entoure, le
temps passe un peu plus vite. Nous décidons d’aller tester le Black Hole
2 ! Non, ce ne sont pas les chiottes. Cette attraction nécessite que l’on
s’équipe d’une bouée biplace : eh oui, on glisse à deux ! Équipé de
ma bouée en forme de 8, je gravis l’escalier qui nous amènera à
l’ « aire de lancement ». Autant de temps pour se peler les
miches, il y a du monde, des marmots surexcités et des ados excités « tout
court ». C’est dans des moments comme celui-ci que, en maillot de bain,
bouée sur l’épaule, l’Homme cherche un sens à sa vie. « Qui suis-je ?
Où vais-je ? Dans quel état j’erre ? » Réponse aisée : un
père prêt à se jeter dans long tunnel tout noir et qui va se faire bringuebaler
dans tous les sens en tentant de garder un semblant de dignité à l’arrivée,
là-bas, tout en bas ! Bah, ça loupe pas : fuzz….. glissssss…..
tournnnne…. reeeetttouurne….. monte…. descend ….. remonte et
reeeedeeeesssscccendd…. et cccccrrrrrr (les coudes) ! Bon, finalement,
c’était pas trop mal. Mon Jojo a apprécié, personne n’est blessé.
J’attends Caroline et Marion sur l’aire d’arrivée
quand, tout d’un coup, retentit une sirène. Non pas une dame avec une queue de
poisson et des cheveux si longs qu’ils cachent ses nichons (tiens, je fais des
rimes…) mais un POUETTT bruyant qui met en émoi la grande majorité des
personnes qui m’entourent. Que se passe-t-il ? Un feu ? Une attaque
bactériologique ? Nucléaire ? Tout le monde semble se diriger vers un
point précis… Un bunker peut-être ??? Non, la réponse est beaucoup plus
terrifiante ! ………
alerte au tsunami !!!
La piscine, centre névralgique de la structure, est
équipée d’une machine à vagues. Je me précipite à mon tour, me frayant un
passage dans la foule. Les places sont chères. Ça doit dépoter !
Où sont les planches de surf, les body-boards, les
requins ? Hawaï, me
voilà !!!!
Flic….
Flac…..
Floc…..
Frrrrssssssh…..
Flic….
Flac…..
Floc…..
Frrrrssssssh…..
Flic….
Flac…..
Floc…..
Frrrrssssssh…..
????????
Non, mais, c'est quoi c'te merde ! Tout ça, pour ça ? Trois
vaguelettes de 50 cm de haut et des petits rouleaux à l’extrémité de la
piscine? Et vas-y que tout le monde saute à chaque vagounette, les bras tendus
vers le ciel priant je ne sais quel démon ! Une secte, j’vous dis :
le Temple de la Vaguelette de l’Enfer. Moi qui m’attendais à un raz-de-marée
force 27 sur l’échelle ouverte de Maïté ! eh ben, je suis passablement
déçu et contrarié, quand vais-je enfin goûter au « grand frisson » ?
Où est l’activité Base-jump ? Où sont les Dirty Sanchez ? Vite un
BMX, un caddie, un truc fun quoi !!
Ma femme, sixième sens en alerte, sentant que la bête qui sommeille en moi
est loin d’avoir assouvi son appétit de sensations fortes et abrutissantes, me
propose d’emmener les gosses dans la Rivière Sauvage (la sus-citée… un peu trop
sauvage pour moi) pendant que j’irai tester THE attraction de la mort, celle
que les nains i’z’ont pas le droit de faire : le TWISTER.
C’est cool, y’a pas trop de monde. Normal, moins d’1m50, tu passes
pas ! C’est pas pour les rigolos, ça doit déchirer grave sa race,
youpi ! Je gravis les escaliers qui m’amènent devant la gueule du TWISTER.
Là, le doute m’assaille… Putain, ça descend raide ! Très raide ! Pas
le moment de se dégonfler, mon honneur est en jeu, je suis le seul adulte sur
la plate-forme de départ. Pfiou…. Inspiration, expiration, Inspiration,
expiration, Inspiration, expiration, Inspiration, expiration, et…. zou !
Me voilà parti ! Jusque là, tout va bien. Sauf que…
Ça descend super vite, je suis allongé sur le dos, pied en avant.
J’accélère. Mes pieds fendent le filet d’eau qui se vaporisent et finit par
m’aveugler. Je tente de garder les yeux ouverts mais de la flotte chlorée dans
la gueule à près de 50km/h, j’ai pas trop le choix : je clos les paupières
et je prie. La descente est fulgurante, j’ai du mal à respirer quand je sens
que ma trajectoire s’incurve. Je suis sorti du tube ! Me voilà dans
l’entonnoir géant collé à la paroi par la force centrifuge ! J’entrouvre
les yeux, je tourne, je glisse, je vois enfin… La vitesse finit par décroître
et sensiblement la pente m’amène vers le centre de l’entonnoir où un trou béant
nous happe et nous jette dans une piscine de 2m de profondeur. La plus grosse
difficulté à ce moment précis est de tomber dignement de cet orifice… J’vous
jure. Trop dur…. Cul par-dessus tête, j’atterris dans cette mini-piscine où je
bois la tasse et, encore aveuglé par l’eau chlorée, je tâtonne dans l’espoir
improbable de trouver le rebord salvateur. Ouf me voilà sauvé ! je l’ai
fait. Bien qu’en y repensant, j’ai l’impression d’avoir tourné, à mon insu, un
épisode de VIS MA VIE. Vis ma vie d’étron ! Colon, rectum, anus et Jacob
Delafon. En vitesse accélérée, « gastro style » !
Mais le pire reste à venir...
Cela fait bientôt 90 minutes que je tente de survivre
en milieu hostile. Le bilan, bien que peu reluisant, n’est pas encore
catastrophique : quelques échauffements au niveau de épaules et de la
hanche, un coccyx qui se rappelle à mon bon souvenir, les talons
endoloris et des yeux de lapin russe. « La douleur n’est qu’une
information, John ! » hurlerait le colonel Trautman au beau
milieu des rizières du Vietnam. J’ai beau me trouver à côté d’un palmier en
plastoc et dans un milieu chargé d’humidité, je ne m’appelle pas Rambo et je ne
vais pas commencer à massacrer femmes, vieillards et enfants à grands coups
de frites de
piscine… Je suis d’un naturel pacifique.
Il faut donc continuer. Et comme le dirait Fredo
Mercure, un pote sosie de qui-vous-savez« Ze sho must go onne! ».
La sirène du “tsunami de baignoire” retentit de
nombreuses fois, les gamins s’éclatent, ils sont ravis. J’ai droit à une séance
de catch aquatique délivrée par ma chère progéniture. L’occasion de me venger.
Gnark gnark ! On va voir qui c’est le patron… Pirouettes, catapultages et
apnées forcées sont autant de cordes à mon arc pour asseoir mon autorité de
mâle Alpha.
« Qui c’est le plus fort ? Hein ?
(PLOOOOUUUFF !!)
- Pas
töôôaaaa ! (PLOUUUFFF !)
- Alors, qui
c’est le patron ? (re- PLOUFFF !)
- Paaapaaaa !
- Bien….
(rere-PLOUFFF ! Bah oui, il faut savoir enfoncer le clou…)»
Ce combat mythologique du père contre sa progéniture
m'amuse beaucoup. Tant qu'on ne me coupe les roubignolles (cf Ouranos et son
fils Cronos)... mais ils finissent par s’en lasser. Ils hurlent vouloir
retenter la Rivière Sauvage « trop sauvage pour moi ». Je
décline une nouvelle fois l’invitation et préfère déambuler sous la pyramide
vitrée à la recherche d’un quelconque réconfort. Je m’apprête à sortir du
bassin quand :
« SSPPRRRRRRRSHHSHSHSHS ! »
Un jet d’eau me fouette la gueule et l’épaule. Irrité,
je cherche du regard le morbac qui me prend pour cible. Tel un manchot sur sa
banquise, j’entame un 360° sur une jambe. Je scrute la foule. Muscles bandés,
je suis prêt à bondir sur l’enfoiré et lui arracher la carotide avec les
dents.
« re-SSPPRRRRRRRSHHSHSHSHS ! »
Putain de bordel de merde ! D’où c’est qu’ça
vient ? Je m’écarte promptement du jet parabolique qui me cingle le visage
et finit par apercevoir l’arme et, cramponné sur la gâchette comme une moule à
son rocher, le fautif. Deux canons à eau sont juchés sur un bateau pirate qui
surplombe le bassin. Les gosses s’amusent à asperger quiconque passe à leur
portée ; évidemment un grand dadet comme moi, ça se loupe pas. Z’ont rien
d’autre à foutre que d’emmerder le monde ?? Non, mais des fois !
P’tits cons.
Le temps passe et je commence à me les geler sévère.
Fatigue et stress aidant, une idée folle me traverse l’esprit. Une putain de
bonne idée !
« Arrête de bouder, Yaya ! Et si tu
allais avec les gosses dans la Rivière Sauvage ??? Tu feras attention et
tout ira bien ! »
Allez, ça y est ! Je suis super motivé (tiens, ça
me rappelle quelqu’un…), ‘vais pas me laisser emmerder par un caniveau et trois
remous ! Je me lance en compagnie de ma femme et des gamins. Il y a
beaucoup plus de monde que tout à l’heure ! Ça déboule de toute part, mes
sens sont en éveil. Il s’agit de ne pas assommer une gamine ou d’écraser un
marmot de 5 ans dans les « marmites » qui jalonnent le
parcours. Hop ! On y va… Wahou, purée, ça glisse ! Je dérape. Le
courant est plus puissant, je ne contrôle pas grand-chose ! Ehhh, merde,
y’a TROP DE MONDE DANS CE BORDEL ! SPLAOUTCH !!! Je
m’explose une nouvelle fois le coccyx sur le fond de la rivière, la douleur est
vive. Cette fois-ci, je me suis bien ruiné ! Et ça continue… Alors que je
tente de suivre Marion et Jojo lancés à toute berzingue dans les méandres du
ru, je ne prête pas attention aux trois adolescentes qui sont avachies à la
sortie d’une cascade. Ça sent le roussi… Lancé à vive allure, j’opère une
rotation sur moi-même afin d’éviter la collision, et plie les jambes pour leur
épargner une chirurgie faciale réparatrice voire une décapitation ! Le
résultat de ces gesticulations ne se fait pas attendre : mon coefficient
de pénétration dans l’eau est trop faible.
« May Day ! May Day !
Éjection ! Éjection ! »
Double “SPLAOUTCH” et “CccccccrRrRrrRRr”. Impossible de crier
sous l’eau, je risquerais la noyade. Je remonte à la surface, et l’on peut lire
sur mon visage la haine, la douleur et le désespoir du gars qui se
demande : « Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour
atterrir ici ??? ». Les derniers mètres sont parcourus debout. Je
grimace et maudis la terre entière. Je me suis pas loupé, je le sens. J’ai dû
perdre deux vertèbres et quinze centimètres d’épiderme au niveau du coccyx, pas
possible autrement. Je sors de cet enfer liquide en claudiquant, une main sur
les reins, l’autre prête à tarter le premier qui aura l’outrecuidance de
m’éclabousser, m’asperger ou m’humecter. Je rejoins mes ouailles et un
bilan s’impose. Le récit de mes mésaventures est épique et, dans une tentative
désespérée de susciter la pitié auprès des miens, ma main se porte à l’endroit
douloureux, c’est-à-dire le bas du dos, là "d’où qu’y a un os bien
saillant qui fait ‘achement mal quand on tombe dessus" ! Les piètres
pratiquants de roller ou autre sport de glisse connaissent… Et c’est là que
tout bascule !
« Mais….mais… putain de bordel à couille de bonne
sœur ! C’est pas vrai ??!!! J’ai niqué mon maillot !! Y’a un
trou dans mon maillot de bain Alain Mickael Bernard Phelps ! » Et pas qu’un !
Trois trous bien nets comme pratiqués à l’aide d’une cigarette. En plus de
m’être raboté le cul, j’ai pourri un maillot qui m’a coûté un bras ! « RHHHHAAAAA !
AAAARRRRGGGGHHH ! POURQUOI ? POURQUOIIIII ??? Enfer et
damnation, je suis MAAAAUUUUDDDIT !!! Combien de temps encore vais-je
devoir subir ces outrages à ma frêle personne ? »
Alors là, je suis passablement irrité ! Vexé
comme un pou, je me dirige vers les vestiaires pour y chercher un drap de bain,
me confectionner un pagne et cacher ma nudité postérieure à peine
dévoilée. Manquent plus que le collier de fleurs et le Yukulélé. Aloha…
Ça y est, j’ai mon compte. Je reste planté prés des
transats à attendre que l’heure tourne. La larme à l’œil et la rage au ventre,
j’observe ces familles heureuses dont l’insouciance n’a d’égale que le
pétillement des yeux des enfants au son de la sirène annonçant l’arrivée
imminente des vaguelettes…
MAIS PUTAIN, C’EST TROP FACILE !
C’EST QU’ELLES ONT PAS UN TROU DANS LEUR CALBUTH, ELLES !!
NI LAISSÉ DES LAMBEAUX DE PEAU AU FOND DE CES TUYAUX DE
MEEEEEERRRRDDDEEEEUUU !
Mâchoires serrées, je rumine. Quand mon regard se pose
sur le simili-bateau pirate et ses canons à eau. Georges et Marion attendent
patiemment que la place se libère pour pouvoir user de cette arme d’emmerdement
massif. Mes yeux s’illuminent. Une flamme y brille. Les neurones tournent à
plein régime et un mot apparait dans mon esprit. En lettres de sang.
VENGEANCE !!!
Je me précipite à leur rencontre, leur souris et
bouillonne d’impatience à l’idée d’assouvir mes plus bas instincts. La place se
libère. J’empoigne Jojo, le hisse sur le canon, lui adjoint de tirer sur la
manette sans relâche. Et tel un sniper au milieu des ruines de Stalingrad, je
me camoufle derrière mon fils ! Je vise.
Et SPLASH dans la tête du mouflet qui
passait par là. C’est pas moi, c’est Jojo ! Et re- SPLASH dans
la gueule de la mamie béate d’admiration devant son petit-fils affublé de
brassards ridicules. C’est pas moi, c’est Jojo ! Et voilà aussi pour toi,
l’inconnu qui tente de prendre des photos de sa progéniture. T’avais qu’à pas
êt’là ! Dommage collatéral. C’est pas moi, c’est Jojo !
Je passe près de vingt minutes à hydro-flinguer tout
ce qui passe à ma portée. Même ce qui semble hors de portée ! J’invente
des techniques qui permettent de gagner quelques mètres d'allonge. Mes nombreux
concours de celui-qui-pisse-le-plus-loin me servent aujourd’hui. Je suis
omnipotent. Je suis le Tout-Puissant du pistolet à eau. Je suis l’Ange
rédempteur qui vous fera expier vos fautes. Je … Je …. JE VOUS EMMERDE !!!!!
ARGGGHHH !!!
RRRHHAAAAA !!! Splitch ! Splitch ! Splitch !
Splitch ! Splatch! Splatch! Splatch! Splatch!
Splatch! Sploutch! Sploutch! Sploutch! Sploutch! (détonation
de mitrailleuse lourde à eau).
Ça y est, l’heure a sonné. Il est temps de partir.
Soulagé mais penaud, je quitte l’antre de Poséïdon. Les enfants sont heureux,
la déception se lit sur leur visage. Dans un élan d’amour paternel, je me
surprends à leur promettre de revenir. Revenir ? Oui, mais quand ?
J’en tremble d’avance.
Si Jipé Sartre avait traîné ses tongs dans ce lieu de
perdition, sûr qu’il aurait écrit : « Aqualud, c’est les
autres. »
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