mercredi 3 juillet 2013

The Origins Part 5

Chères lectrices, chères lecteurs,

(j'utilise encore le pluriel pour m'adresser à vous, je ne perds pas espoir!)

À l'issue du précédent épisode, tel un James Bond de la République, je vous ai laissés dans un suspense insoutenable: face à des hordes d'adolescents mâles prépubères acnéiques et testostéronés, comment réussirais-je à m'en sortir? Tout le monde sait bien que le célèbre espion ne meurt pas à la fin néanmoins l'on est suspendu aux multiples rebondissements et renversements de situation qui amènent mon lectorat à serrer les dents, agripper l'écran de l'ordi et à hurler: 
"Putain de bordel à chiotte! Mais comment va-t-il survivre?! Vivement la suite!"
Les lectrices les plus sensibles défaillent évidemment.

Nous sommes donc le 1er septembre 2001. Il pleut. Comme vache qui pisse. Il "drache" comme on dit par chez moi, sale temps pour une pré-rentrée. Je fais ma première rentrée comme Professeur des écoles titulaire et j'ai le trouillomètre à zéro. Après deux mois de vacances en mode Sea, sex and sun, où la procrastination est devenu un art de vivre, j'ai savamment relayé mes préoccupations professionnelles au fin fond de mon cortex entre "je devrais ..." et "'faudrait que...". Je me revois dans le bureau du directeur de la MECS en compagnie de mes deux potes volontaires et d'un quatrième larron, appelé de dernière minute car recruté sur la "liste complémentaire" du Concours PE. Je suis trempé et j'essaie, en vain, de trouver une porte de sortie à l'enfer qui m'attend. Le directeur nous accueille avec un grand sourire, c'est un petit bonhomme à la barbe blanche, un nain de jardin sans son bonnet pointu quoi. C'est un ancien professeur d'histoire-géo, transfuge de l'Éducation nationale et qui, diplôme de directeur d'établissements spécialisés en poche, se fait des couilles en or à la tête de ce genre d'établissement. C'est que le "social" est une nébuleuse où le fric coule à flots.Les associations sont dites laïques, à but non lucratif... Je pouffe. Il suffit de regarder le fabuleux système pyramidal mis en place depuis des décennies où chacun veut croquer une part du gâteau généreusement distribué par les Conseils Généraux: immobilier, mobilier, voitures de fonction, ça rutile de partout dans les hautes sphères tandis qu'au bas de l'échelle, les éducateurs aidés des stagiaires-éducateurs font tourner tant bien que mal ces établissements. Mais passons à notre récit, le directeur, que nous nommerons Bob est un hâbleur, cadre supérieur oblige... Il m'horripile, deux minutes que nous sommes dans son bureau et il se félicite déjà de notre présence: cela fait des lustres qu'il n'a pas débuté une année scolaire avec une équipe d'enseignants au complet. S'ensuit une présentation de l'établissement dont il a la charge, son fonctionnement, le personnel. L'entrevue se termine et nous sommes confiés aux chefs des travaux, J-L, qui se chargera de nous faire visiter le bâtiment où nous enseignerons en collaboration avec cinq éducateurs techniques. Le bâtiment est une ancienne usine "réhabilitée" en centre de formation. Pas très accueillant tout ça. Je redoute le premier contact avec ces adolescents qui ont, pour la grande majorité, connu plusieurs établissements scolaires avant d'atterrir ici sur décision d'un juge ou demande des parents. Ces gamins ont une relation très conflictuelle avec tout ce qui ressemble de près ou de loin à un enseignant: exclusion et échec scolaire pour la très grande majorité. Nous empruntons un long et large couloir qui longe les ateliers (métallerie, menuiserie et peinture) et nous y croisons quelques ados qui s'empressent de venir nous saluer en nous serrant la main. J'hésite à tendre la main, moi qui m'attend plutôt à un "bonjour" discret. Certains nous demandent si nous sommes les "nouveaux profs", j'entends des rires, quelques exclamations. Je ne suis pas à l'aise, c'est peu de le dire. Ce n'est pas mon monde. Qu'est-ce que je fous là? Je fais la connaissance des cinq éducateurs techniques dont je ne retiens aucun prénom, trop occupé à réprimer mes envies de prendre mes jambes à mon cou... La visite des salles de classe a raison de mon moral, déjà bien bas. Les cinq salles de classe se trouvent à l'étage auquel on accède par un escalier étroit aux murs décrépis recouverts de graffitis , une porte en fer gondolée nous bloque l'accès. Deux tours de clé et nous voilà dans un vaste espace de plusieurs centaines de m², le sol est en briques, recouvert çà et là de rares plaques de ciment peint, le plafond, quant à lui, est à plus de 5 mètres. La porte métallique qui claque derrière nous n'en finit plus de raisonner dans ce gigantesque volume dont quelques rares néons peinent à vaincre l'obscurité. Nos salles de classe ont été aménagées tout autour de cette salle: cinq cubes de 50 m², moquette marron au mur, sol en briques rouges et des fenêtres placées à 1,80 m du sol, la seule vue vers l'extérieur donne sur le ciel et ses nuages. C'est glauque, froid, humide, malsain quoi. Je serai prisonnier de ces murs pendant un an. Quel programme...
La rencontre avec le cinquième enseignant relèverait de l'anecdote si cette personne était un jeune professeur comme nous, or celui-ci accuse la bonne cinquantaine et nous narre ses différents états de service: coopération à Pondichéry puis en Afrique durant de nombreuses années, il en fait un peu trop et roule des mécaniques à l'idée de devenir un peu notre "guide". Une question s'impose assez vite: Comment une personne soit-disant bourlingueuse et expérimentée choisit-elle d'atterrir dans ces oubliettes de l'Éducation nationale? On ne le saura jamais, en conflit permanent avec ses collègues et la direction de l'établissement, on ne le reverra plus...
Cette journée se termine par une réunion où nous nous répartissons les élèves. Nous aurons en charge deux classes de 8 élèves, les plus jeunes durant cinq demi-journées, les plus âgés durant trois demi-journées. Ils ont de 14 à 19 ans et sont pour la plupart originaires des banlieues lilloise et valenciennoise; pas besoin de faire une enquête sociale pour se rendre compte que ces gamins sont issus de familles socialement défavorisées: chômage, alcoolisme, drogue, délinquance sont un échantillon des multiples facettes de ces jeunes vies à la dérive.
Le jour de la rentrée arrive après une nuit courte. J'ai peur et je cherche un peu de réconfort auprès de mes collègues: on plaisante de notre infortune, l'humour aidant à dédramatiser. De cette première matinée, je ne me souviens que des ces cinq premières minutes où tel un dompteur face aux fauves, je tente d'amadouer, d'apaiser ces huit adolescents qui me dévisagent sans un mot. Je distribue le matériel et lance alors la première activité. Les premières journées sont éreintantes tant le climat est électrique, il faut gérer les individus turbulents, insolents, violents et l'aide ainsi que les conseils de J-L et des éducateurs techniques sont des bouées de sauvetage pour un jeunot comme moi. Je ne me ferai pas croquer! Durant quelques semaines, Serge et moi nous téléphonons le soir et faisons le bilan de la journée, on se rassure, s'encourage. L'idée de décrocher le téléphone et d'implorer l'inspecteur de nous muter ailleurs revient sans cesse, cette éventualité sera une option que, finalement, nous n'utiliserons pas. Nous passerons 7 ans dans cet établissement.

J'ai laissé une partie de moi-même là-bas, j'ai appris beaucoup de choses malgré tout, sur moi, sur les difficultés du métier, sur la société, sur la vie surtout. J'ai pris des coups, au sens figuré comme au sens concret mais ça c'est une autre histoire.

La camaraderie, l'humour et la bienveillance sont les clés d'une réussite professionnelle.

À suivre...

3 commentaires:

  1. Ouèche prof c'est toi? T'as pas une garro pour mon sram?

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  2. Ben dis donc, le Rag, tu m'en bouches un coin, là ...

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  3. Comment s'est passé la rentrée le Rag ?

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