Hessel et le pin des Landes

« Vengeance !!! »

Vengeance. Vengeance. Vengeance.

C’est submergé par la colère, rongé par l’indignation, guidé  par une soif intarissable de justice, que je me saisis sans attendre de mon clavier afin de vous faire part de mon désarroi.  J’ai l’espoir que ce coup de gueule salutaire réveillera vos consciences et que, tel un battement d’aile de papillon, ce billet d’humeur anodin se transforme en tempête médiatique, en une révolution du petit peuple face à l’oppression du Système.

 Vengeance ! Justice !

« Indignez-vous » nous invite Stéphane Hessel. OK, je m’indigne. Et pas qu’un peu…

Quel est l’objet de mon indignation ? Quel est l’évènement qui réveille en moi l’humaniste, le défenseur des droits de l’homme ? Oui, c’est bien des droits de l’homme dont je vous parle ! Sans H majuscule. Et pour être plus précis même, des droits du père de famille, des droits du Papa, du Papounet.

Il  y a quelques heures, alors que mon fils réclamait sa dose de bagarres et jeux virils quotidiens, je lui proposai de s’adonner au doux plaisir d’activités de construction, activités qui, le pensai-je encore, pouvaient aider au développement de l’imagination chez ma progéniture tout en créant une complicité entre un père et son fils. Après moult palabres, notre choix se porta sur les mondialement célèbres « KAPLA ».  Invention -ô combien géniale d’un architecte Hollandais- qui se matérialise sous la forme de planchettes en pin des Landes dont les dimensions ont été astucieusement choisies afin de pouvoir réaliser toutes sortes de figures architecturales. Architecturales ? Depuis 5 ans que mes gosses possèdent ce baril de planchettes, personne n’a jamais rien produit quoi que ce soit qui puissent être qualifié d’architectural ! Archi-pourri, archi-branlant, archi-minimaliste, oui ! Mais « architectural » non ! Y’a bien eu des tentatives telles qu’un circuit de « billes-cross » (merci Gab’), une tour infernale un peu spectaculaire (merci  Arnaud) mais cela n’avait rien d’archimachin … Architectural, mon cul ! Qu’ils viennent les Michel-Ange et autres Gaudi avec leurs planchettes en bois  réaliser la Sagrada Familia ou la basilique Saint Pierre ! Je t’en foutrais moi des pyramides du Louvre en sapin ! Jusqu’ici, en tout bon père de famille, j’avais réussi à hypnotiser mes gamins avec une ferme cubique sans porte ou une girafe fabriquée avec quatre planchettes, plus minimaliste, tu peux pas. Mais je peux vous dire que question imagination, ça carburait sec dans leurs méninges !!! L’imagination au pouvoir…

Bon, où en étais-je ? Ah oui ! Sauf que, aujourd’hui, Jojo s’est mis en tête de prendre comme modèle les illustrations de la boîte… Argh ! C’est là que la supercherie réside. Et que la honte m’étreint. Les illustrations apposées sur le baril représentent une Tour Eiffel de 2 mètres de haut, une girafe de 1,5 mètre, une structure dont la base avoisine les 2 mètres carrés, etc. Jojo opte pour la « tour avec la point », autrement dit la Tour Eiffel. Re-argh ! Alors que je balbutie une inintelligible excuse, je sens une profonde colère sourdre en moi : comment peut-on être à ce point sournois ? Quel est cet être vil qui, au fond de sa forêt des Landes, sculpte des planchettes en bois tout en ricanant à l’idée de plonger les pères du monde entier dans un profond désarroi. Qui a l’esprit assez retors et pervers pour s’en prendre à la fois à nos chères têtes blondes et à leurs géniteurs ? Où est le plaisir de torturer des gens alors qu’il ne les connait pas et qu’il ne pourra jamais assister au triste spectacle du gamin dont les rêves les plus fous se trouvent sabordés par les arguments les plus fallacieux d’un père éhonté ? Salaud !

La tour Eiffel nécessite, au bas mot, huit jours de labeur non-stop, 4 000 planchettes, deux boîtes de Lexomil pour ne pas trembler associées à une centaine de grammes de Marijuana. Et aussi des connaissances en mécanique des matériaux, en physique quantique et surtout en gymnastique yoga !! Je vous parle pas de la fameuse girafe. On dirait une vrai !! Enfoiré de mes deux ! Staline de la xyloconstruction ! T’as voulu m’humilier devant ma famille ? T’aurais pas pu mettre en photo des trucs plus simples ? Des constructions à portée de mômes de cinq ans voire de leurs parents ? Naaaannn, tu veux faire le malin : la Statue de la liberté, le Taj-Mahal, le temple d’Angkhor, le Golden Gate pendant que tu y es, sombre abruti !

Évidemment cela vous fait penser aux photos des plats préparés sur les boîtes de surgelés : on s’attend à un plat sorti d’un resto 3 étoiles et l’on se retrouve avec une masse informe et insipide dont l’aspect n’est pas sans rappeler ce qui sortira de vos intestins quelques heures plus tard… Néanmoins, le mec KAPLA est un cran au-dessus, voire deux, dans la perversité. Son travail de sape ne touche plus une personne mais deux, un père et son enfant. Et, chose plus grave, il s’attaque au lien magique qui unit ces deux êtres auparavant innocents, tentant sans vergogne de discréditer le caractère héroïque du père aux yeux d’une fille ou d’un fils. Salaud !

Aujourd’hui j’ai perdu mes pouvoirs de super-héros. 

Aujourd’hui ma girafe quadri-planchette est morte.

Putain d’imagination.