mercredi 11 avril 2012

L'incroyable Hulkssard se déchaîne...


"La colère, c'est comme les chiottes: quand ça déborde, mieux vaut ne pas traîner dans le coin.
Delafon Jacob, 1923.


Il aura fallu sept mois pour que Ça arrive.


Sept mois de maîtrise de soi, d'introversion. Sept mois pour que les digues de ma légendaire tempérance se trouvent submergée par un tsunami de fureur bestiale. La bête qui sommeillait en moi s'était retranchée au plus profond de mon être et semblait ne plus devoir réapparaître . "Il" a brisé ses chaînes et, tel un diable qui sort de sa boîte, a transformé, l'espace d'un instant, une salle de classe en scène apocalyptique: hurlements, pleurs et prières ont accompagné ce déchaînement de forces occultes.


Je suis le Professeur Bruce Ragner, spécialiste de l'enseignement en milieu enfantin. Mes recherches sur la didactique des matières fissiles et difficiles (la grammaire ou la multiplication, c'est trop difficile!) m'ont poussé dans des retranchements de mon être que vous ne soupçonneriez même pas. J'ai découvert à de multiples reprises que, soumis à une émission trop forte de rayons Kasse-Kouilles, les conditions deviennent malheureusement propices à l'apparition de la "bête". Dès que je ressens une offense ou un choc émotionnel à forte charge Kasse-Kouilles, une saisissante métamorphose s'opère: je deviens...


 L'incroyable Hulkssard de la République!


C'était une journée comme les autres. Rien ne présageait des évènements qui allaient suivre. Il y aurait dorénavant un "avant" et un "après"... Il était 9h05, l'appel avait été effectué, les élèves m'écoutaient narrer la traditionnelle "histoire d'accueil", j'aime recueillir tout leur attention à l'aide d'albums, de contes illustrés, juste avant d'attaquer une longue matinée studieuse. On frappa. Comme à son habitude, la cantinière effectuait le relevé des élèves présents à la demi-pension. Je sentis un rayonnement négatif dans son ton alors qu'elle me demandait une entrevue dans le couloir, hors de portée des yeux et des oreilles de mes élèves. Ça puait la Kasse-Kouillite, minerai intelligible qui est à l'enseignant, ce que la Kriptonite est à Clark Kent: une belle merde! Ça n'a pas loupé! On me reprochait une décision malheureuse que j'avais prise le vendredi précédent. Plusieurs vols dans la classe m'avait poussé à tenter de démasquer le ou la coupable en retardant un maximum le départ à la cantine. Mal m'en a pris car, non seulement je n'avais pas trouvé le malotru mais j'avais foutu une belle pagaille dans le service de cantine. Tout le monde ne peut pas être parfait. Je présentai mes excuses quelque peu marri de me voir ainsi épinglé. J'essayai de me justifier tout en arguant de ma bonne foi. Peine perdue: j'avais foutu le bordel et ça risquait de chier... Ouille! Putain de Kasse-kouillite...
Je gérai. Au fil de la matinée, j'effectuai mon travail et me confiai auprès de mes collègues, contrarié que j'étais. Le rayonnement Kasse-Kouille me remuait le bide.

Et vint l'après-midi. À 13h30, alors que la marmaille, en rang d'oignons,  rentrait en classe, des parents d'élèves - qui, vous n'êtes pas sans l'ignorer, sont faits de Kasse-Kouillite pure 58 carats - vinrent m'entretenir de cette fameuse affaire de raccourcissement de cantine. Et "blabla que mon fils, il a pas eu le temps de manger..." et "blabla, c'est cher payé pour un repas à moitié ingurgité...", et "c'est pas normal..."... Sur quoi, je leur répondis que n'étant pas totalement infaillible, il m'arrivait de prendre des décisions à chaud en toute bonne foi mais qui, une fois analysées, ne se révèlaient pas toujours idéales. Peine perdue, ils ne m'entendirent pas, ils ne me comprirent pas. 
Grrrrr... 
La boule de colère grossit. Je leur rétorquai que ,d'une manière ou d'une autre, il y aurait toujours des mécontents (cf. les parents de l'enfant qui se sera vu dérober son stylo-plume) et qu'en fin de compte, l'on viendrait toujours se plaindre auprès du misérable fonctionnaire que j'étais. 


GRRRRR... 


Je coupai court à la conversation, mon travail m'attendait. 


Grrrmmmm... 


Ma tolérance aux rayons K-K frôlait ses limites.


Le front bas, les sourcils plissés, je grommelais quelques noms d'oiseaux inintelligibles pour mon auditoire. Le travail allait enfin pouvoir reprendre en toute sérénité et la colère que je sentais sourdre au fond de ma gorge allait retourner se tapir au plus profond de mes entrailles, mes pensées et mon attention occupées à d'autres tâches beaucoup plus intéressantes. Grosse erreur.
Il ne fallut qu'une poignée de minutes pour qu'un gisement de Kasse-Kouillite n'émerge au beau milieu de ma classe. Une élève, somme toute discrète, me signala que son stylo avait disparu. Je m'enquis auprès d'elle de savoir si elle était sûre de l'avoir en sa possession le matin même. Elle opina du chef. 
Grrrraaaouuu... "Putain de de bordel de merde!" me dis-je
"Ils vont quand même pas remettre ça?"
Je ne supportai plus les doses de K-K encaissées, la gorge me serrait, les mots me manquaient. Impossible de m'emporter dans une de ses tirades courroucées dont j'ai le secret. Pour jouer la colère, il faut être serein. Là, le vase était plein, impossible de surjouer. D'une voix douce, quasi mielleuse, j'interrogeai l'assistance espérant que l'indélicat(e) se dénonce sans tarder. Le calme avant la tempête quoi. J'attendais. 

"C'est Truc qui l'a pris dans la trousse de Machin.
- Non, j'ai juste regardé.
- Et après, tu l'as jeté là-bas." m'avouèrent deux élèves déjà lourdement sanctionnées pour de précédents larcins.

Et le vase déborda...

Dans un mouvement de ralenti digne du Septième art, la goutte chuta dans le vase de mon subconscient. Le vase ne déborda pas, mais tangua pour finalement se déverser dans un flot impétueux (avez-vous remarqué comme les flots sont souvent impétueux?). En un éclair, mon corps fut submergé par une vague de colère incommensurable, un typhon emportait les vestiges de digues qu'avait tenté de dresser mon Surmoi face à l'irrépressible bestialité. Je me transformai en 


L'INCROYABLE HULKSSARD!!!!!





Les yeux injectés de sang, les babines retroussées, mon pouls se fit "marteau-piqueur". Je déversai mon ire sous les yeux ébahis et apeurés de mes ouailles! La bave aux lèvres, je mitraillais les plus proches de mes élèves d'une nuée de postillons incontrôlés. Je pointai un doigt tremblant et accusateur vers les demoiselles incriminées tandis que j'entamais des allées et venues devant le tableau noir. La fureur m'étreignait les neurones, le Ça si cher à Sigmund avait foutu un bel Ippon à mon Surmoi: K.O! Ding!
Ma voix généralement si grave atteignait des octaves insoupçonnées et les trémolos dans la voix ne tardèrent pas à faire leur apparition tant la perte de contrôle était totale. Manquait plus que j'en attrape une dans la gueule et que je le bouffe sur mon bureau. Tout cru.


Elles avaient déchaîné les feux de l'Enfer et étaient aux premières loges pour assister au spectacle pathétique mais non moins terrifiant d'un homme en proie à une colère inextinguible. La crise ne dura que quelques minutes, mais assez pour que la secrétaire de direction, attirée par les hurlements et grognements, vienne prendre des nouvelles des survivants. 

Je repris mes esprits ainsi que le contrôle de mon élocution et enfouis ma hargne sous une chape de bon sens armé à la honte. J'étais vidé. Moralement. Physiquement. 

Le reste de la journée fut calme. Bizarre.


NB: Cet état n'est en aucun cas un défouloir, c'est usant et peu glorieux. Je profite de ce blog pour écrire un billet qui tiendra lieu de catharsis. 
Heureux sont celles et ceux qui ne croiseront jamais la route de ...


L'INCROYABLE HULKSSARD!!!!!


1 commentaire:

  1. Tout ça pour un stylo-plume....faut consulter chef !!!

    Sans déconnner, je comprends et compatis même. Les parents casses-couilles, je les avais tous les jours dans mon bureau à venir se plaindre pour tout et surtout n'importe quoi. Le plus généralement accompagné d'un beau branleur de la CGT qu l'on a pas vu bosser depuis plus de 20ans.

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