lundi 19 décembre 2011

L'incroyable Hulkssard de la République - Épisode 1

J'ai raté mes études.

J'ai 36 ans et je suis toujours à l'école. En CE1.

Oh, j'ai bien tenté de faire des efforts, mais il faut se rendre à l'évidence: je vais passer les 30 prochaines années entre les quatre murs d'une classe d'école primaire. Avec un peu de chance, je finirai ma carrière d'éternel élève en CM2. Chez les grands. Pfiouu.

Depuis douze ans que j'ai choisi d'embrasser la carrière d'instit' - plus par défaut d'ambition que par conviction - j'ai tenté de m'extraire de ma misérable condition d'enseignant du primaire: enseignant spécialisé en foyer d'ados, en collège et même directeur de SEGPA, histoire de tutoyer le programme de l'enseignement secondaire tout en avalant quelques couleuvres... Hélas, ces expériences plus ou moins heureuses m'ont mis face à mes carences et, en particulier, à mon incapacité maladive à prendre du recul. Quand l'on côtoie les fils et filles des damnés de la société qui, eux-mêmes, engendreront d'autres damnés, il faut faire preuve d'un détachement schizophrène. Bon, faut dire aussi qu'être provoqué, menacé, insulté à longueur d'années tout en évitant la faute professionnelle, c'est-à-dire démonter sa gueule à cet ado de 15 ans qui, non content de te pourrir ton boulot depuis des mois, finit par te menacer tout en insultant ta famille sur trois générations, ça finit par user un homme. Vous avez du mal à me croire? C'est normal, la vérité est bien plus glauque. Ajoutez à cela des locaux insalubres ainsi qu'un manque criant de pragmatisme de la part de la hiérarchie, vous obtenez une belle dépression au bout de dix années. Oh, j'entends déjà les discours des "bouffeurs d'instits" qui veulent tout régler avec force torgnoles dans la gueule et beuglements de rigueur... Sache, sombre trou du cul, que l'ado qui se retrouve face à toi n'en a que faire de tes vagissements, lui, il s'est déjà bouffé des coups de godasses par se parents ou s'est retrouvé dans le placard à balais pour quelques nuits ou bien encore a servi d'éteignoir à clopes. Alors, pour la baffe, tu repasseras. Tu veux du glauque, du fait divers, de l'inspiration pour un remake Trash des Misérables, fais un tour dans un foyer d'ados.

Bon, je suis pas là pour vous faire frissonner, ni pleurer. Y'a déjà Nicolas et Angela "Pas Jolie" pour nous paralyser. D'ailleurs, si, un jour, tu te sens vraiment trop heureux, demande-moi quelques anecdotes sur ces années dans l'antichambre de l'enfer social. Comme le Père Castor, j'ai dû "Il était une fois..." à partager sauf que là ça se termine pas par "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants." mais plutôt par "Ils eurent beaucoup d'enfants. En foyer.".

Cette année, j'ai réussi à atterrir dans une petite école de campagne. À ce titre, il est nécessaire de casser quelques clichés bien ancrés dans les esprits citadins qui me lisent (oui, toi!):

- Il y a "école de campagne" et "école de campagne". La connerie et la misère ne sont pas des privilèges réservés à la ville. Et leurs enfants sont tout aussi attachants... aliénants plutôt. C'est comme si je m’amusais à comparer l'école Notre Dame Réceptacle de la Sainte Semence à Neuilly-sur-Seine et l'école Daniel Guichard de Sarcelles, toutes deux en banlieue parisienne. Tu saisis la différence subtile?

- Non, les enfants de la campagne ne sont pas tous très polis. Non, ils ne viennent pas en tracteur chaussés de bottes, un béret sur la tête en hiver et un chapeau de paille en été. Non, ils n'ont pas un brin d'herbe au bord des lèvres. Non, une fois que la cloche de la cour a retenti - d'ailleurs, y'en a pas de cloche - à 16h30, les gamins ne jouent pas aux cerceaux dans la rue ou ne vont pas au ruisseau du coin fabriquer un moulin à eau avec la musique Herta en fond sonore. Non, ils ne parlent pas en roulant les "r". Non, non et non.

- Nos cons de la campagne sont aussi cons que vos cons de la ville. Si, si.

L'école où j'ai posé mon cartable est neuve. Pas rénovée. Non, neuve. Magnifique, bâtie selon les normes HQE: chauffage par le sol, très lumineuse, spacieuse, agréable quoi. Pour un premier poste en école primaire, je dois dire que je suis bien tombé! Moi qui m'étais habitué au "plus pourri que moi, tumeur" étant donné les doses de cochonneries que j'ai pu inhaler dans les préfabriqués, hall d'usine aménagé en salle de classe et collège pourri tapissé à l'amiante. Ça a vraiment de la gueule et je dois dire que travailler dans des locaux neufs et confortables est bien plus motivant que d'aller turbiner dans un bâtiment vieux et insalubre. La Palice, sors de mon corps!

J'arrive donc ce 1er septembre 2011 dans ma nouvelle école, j'aurai en charge le CE1 où 25 élèves y figurent. On m'annonce d'emblée que, sur ces 25 marmots, deux nous sont gentiment envoyés par l'école privée du village. 'Sont gentils les culs bénis, ils gonflent nos effectifs pour nous aider à conserver les postes d'enseignants. Et que même, si ça se trouve, ce sont deux très bons élèves calmes, polis et travailleurs. Avec des parents attentionnés, souriants et serviables...

...

...

Que dalle, ouais!!! Une fois n'est pas coutume, les culs bénis se débarrassent subtilement de la lie pour nous la refourguer. "Ça remue trop, c'est nul, ça fait chier tout le monde? Pas d'problème, y'a l'école publique!" Notez que cette tactique vaut également pour le collège et le lycée, après, la sélection par le porte-monnaie est suffisante. Attention, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit: il faut quand même bien que l'on s'occupe de tous les gamins mais j'aimerais que les écoles dites "libres" (sic, sic et re-sic), après avoir revendiqué les mêmes droits que le "public" dans les années 80, aient les mêmes devoirs d'accueil. Et c'est pas gagné...

Les deux gamins qui nous sont gentiment expédiés par Colissimo administratif sont diagnostiqués "hyperactifs". Et pour ne rien vous cacher, c'est du lourd! Jamais vu ça. Du Taz sous amphétamine, jamais fatigué, toujours speedé. 

Et ça, "c'est du sport", comme dirait notre ami Gérard Holtz.

Je vous quitte momentanément et vous donne rendez-vous pour l'épisode 2, épisode où nous ferons la connaissance des énergumènes qui composent ma classe ainsi que des secrets de l'Incroyable Hulkssard...









2 commentaires:

  1. C'est malin, j'attends la suite maintenant !!

    En tous cas, je ne sais pas ce que tu vas nous concocter sur tes petits de la campagne, mais j'ai la nette impression que cela va être réjouissant !!

    PS : Pour info, Taz n'est ni speedée, ni hyperactive, qu'on se le dise :-)))

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  2. un taz au quotidien, c'est déjà du lourd à gérer, alors deux ?!!
    Je t'envoie de suite par colissimo, une tonne de calmants

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